23 mars 2015

ESPÉ : comment prépare-t-on les futurs enseignants à apprendre à lire et à écrire aux enfants ?

Depuis 2013, la formation des futurs enseignants du premier degré est assurée par l’acquisition d’un master MEEF (master Métiers de l’Enseignement, de l’Éducation et de la Formation).1 Les ESPÉ (Écoles Supérieures du Professorat et de l’Éducation) qui le délivrent ont chacune « leur propre mode de gouvernance »2, et jouissent ainsi d’une liberté qui ne permet pas de dresser un bilan général, valable pour toute la France, des enseignements qu’elles dispensent. Voici cependant l’« exemple d’enseignements de tronc commun »3 donné par le dossier de presse du 2 juillet 2013 concernant ces ESPÉ :

Enseignement

Volume horaire

Master 1 Semestre 1

-Philosophie de l’École, valeurs de l’École et de la République, laïcité, lutte contre toutes les discriminations

-Processus d’apprentissage, psychologie de l’enfant

-Droit de la fonction publique

-12 h

-12 h

-6 h

Master 1 Semestre 2

-Grands courants pédagogiques, démarches d’enseignement, apprentissage, évaluation

-Sociologie des publics, gestion de la diversité, orientation

-Difficultés scolaires, décrochage

-École inclusive : adaptation scolaire et scolarisation des élèves en situation de handicap

-12 h

-6 h

-6 h

-6 h

Master 2 Semestre 3

-Organisation du système scolaire et contexte institutionnel

-Processus d’apprentissage, rapports aux savoirs, mémoire et apprentissage, styles cognitifs, intelligences multiples

-Postures d’enseignant et d’élève, communication professionnelle (voix, gestuelle, etc)

-6 h

-12 h

-12 h

Master 2 Semestre 4

-Gestion des conflits et de la violence

-Lutte contre les stéréotypes femmes-hommes et mixité scolaire

-Éthique, posture professionnelle, travail coopératif

-12 h

-12 h

-6 h

Aucune heure n’est manifestement dévolue aux méthodes d’apprentissage de la lecture et de l’écriture. Explication plausible : le tableau concerne à la fois les enseignants du premier et du second degré. Deux rubriques commencent par la formule « Processus d’apprentissage », et une autre comprend l’expression « démarches d’enseignement », où l’on suppose que peuvent être évoquées les questions de la lecture et de l’écriture. En tout, donc, seules quelques heures parmi les trois fois douze heures de ces trois rubriques sont susceptibles de permettre de traiter cet épineux problème (puisqu’il faut compter du temps pour parler aussi d’autres difficultés à classer dans ces mêmes rubriques). Il est laissé à l’appréciation de chaque ESPÉ d’agir dans ce sens ou non.

Voilà pour la théorie. Qu’en est-il de la pratique ?

Nous avons fréquenté un atelier intitulé « Les difficultés de lecture » donné par une ESPÉ. Il s’agissait d’un atelier d’une durée de six heures, réunissant une formatrice de l’ESPÉ et une trentaine de stagiaires de l’Éducation Nationale, aux fonctions diverses (enseignants du premier et du second degré, C.P.E., documentalistes, etc). Objectif de notre venue : savoir ce que l’on apprend de l’ESPÉ elle-même sur la façon dont les enseignants sont formés aux méthodes d’apprentissage de la lecture et de l’écriture aujourd’hui.

Au début de la journée, la formatrice, lors d’un bilan chiffré -très inquiétant- des difficultés de lecture dans l’académie et en France, précise qu’ « aujourd’hui, les enseignants ne sont pas formés aux questions de lecture », et que les six heures du jour dévolues à ce problème sont une « victoire » en vue de la résolution de ces difficultés. Rappelons que les journées intermentions proposent de nombreux ateliers, aux thèmes très variés, à l’ensemble des stagiaires de l’académie. Une trentaine seulement de ces derniers assiste donc à celui qui est consacré aux difficultés de lecture.

Durant une activité de groupes, des échanges avec des enseignantes de CE1 et de CM2 nous font entendre qu’en effet, durant leurs années d’étude, aucune formation n’a été obligatoire concernant l’apprentissage de la lecture et/ou de l’écriture aux enfants. « Lors d’un semestre en L3, deux heures par semaine ont été dispensées par des inspecteurs, mais elles n’étaient pas obligatoires ; on y présentait notamment la méthode syllabique et la méthode globale ; c’est la méthode globale qui était préconisée. » À l’issue de cette activité, une autre enseignante du premier degré a le courage de lever la main pour déclarer ceci : « Je ne sais pas comment on apprend à lire aux enfants. ».

Le reste de la journée est consacré d’une part à l’exposé de la méthode dite « semi-globale » préconisée par notre formatrice malgré l’inefficacité (et même les risques), selon nous, de cette méthode ; d’autre part aux méthodes que les professeurs du second degré peuvent employer pour pallier les grandes difficultés de lecture de leurs élèves. L’objectif de la formatrice après un an de travail avec ses élèves dans de petits ateliers de remise à niveau au collège a été clairement énoncé : qu’ils sachent lire et écrire « de façon au moins phonétiquement compréhensible ».

À la fin de la journée, une enseignante du second degré intervient. Elle s’étonne du fait que l’on développe de plus en plus de méthodes pour pallier les difficultés de la lecture, alors que la (re)mise en place d’une méthode initiale solide et efficace permettrait à tout le monde de gagner beaucoup de temps :

« Ma tâche consiste à montrer à des élèves de Première ce que c’est que lire un texte, et donc, en ce qui les concerne, à leur montrer qu’ils ne savent pas lire, parce que malheureusement la plupart d’entre eux n’ont pas passé le stade du déchiffrement ; ils voient subitement ce dont ils ne sont pas capables, alors que nous sommes à quelques mois des épreuves du baccalauréat, puis ils viennent me faire part des angoisses que leur cause cette découverte… Que fait-on face à cela ? » Réponse de la formatrice : « On continue de les conduire petit à petit ainsi, même s’ils n’auront pas atteint le niveau nécessaire le jour de l’épreuve ; les exigences des épreuves du baccalauréat sont de toute façon beaucoup trop élevées. Oui, je suis d’accord avec vous, le métier de professeur est un métier frustrant. »

1 Pour être titularisé au sein de l’Éducation Nationale, un enseignant du premier degré peut justifier d’un autre master après son admission au concours (http://www.education.gouv.fr/cid50923/conditions-inscription-aux-concours-externe-externe-special.html), mais actuellement, c’est bien le master MEEF qui est majoritairement choisi par les futurs enseignants du premier degré, dans la mesure où c’est celui qui a été créé pour les préparer à ce métier. 

2 Page 6 du dossier de presse du 2 juillet 2013 intitulé « Lancement de dossier des Écoles Supérieures du Professorat et de l’Éducation », disponible ici : http://espe.u-pec.fr/l-espe/presentation/les-espe/dossier-de-presse-lancement-des-espe–563803.kjsp?RH=1363611101183 
3 Page 11 du dossier de presse du 2 juillet 2013 intitulé « Lancement de dossier des Écoles Supérieures du Professorat et de l’Éducation »(voir note 2).

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