14 mai 2014

La liberté pédagogique en laisse

TITRELes professeurs du public comme du privé sont très attachés à la liberté pédagogique, i.e. la possibilité de choisir par eux-mêmes méthodes et contenus d’enseignement. Les parents d’élèves sont souvent moins allants pour avoir été parfois confrontés aux initiatives pédagogiques malheureuses de professeurs en mal d’originalité. Le fait d’imposer des programmes contraignants présente à leurs yeux le mérite d’empêcher par exemple certains professeurs de français de passer l’année sur une œuvre littéraire mineure, mal traduite ou déprimante, ou aux enseignants d’histoire de se limiter à la seconde guerre mondiale.

Les dirigeants de l’Éducation nationale ont une relation plus qu’ambiguë à la question. Si la liberté pédagogique est reconnue de longue date dans l’enseignement supérieur, il a fallu attendre François Fillon pour qu’elle soit consacrée par la loi pour l’enseignement primaire et secondaire. Hélas, sous quelle forme mutilée ! L’article 48 de la loi du 25 avril 2005 insère dans le Code de l’éducation l’article L.912-1-1 qui dispose ceci :

« La liberté pédagogique de l’enseignant s’exerce dans le respect des programmes et instructions du ministre chargé de l’Éducation nationale et dans le cadre du projet d’école ou d’établissement avec le conseil et sous le contrôle des membres du corps d’inspection. Le conseil pédagogique prévu à l’article L.421-5 ne peut porter atteinte à cette liberté. » Faut-il que l’État fasse peu confiance à ses enseignants pour les contrôler à ce point ! Et le syndicat SUD éducation (http://www.sudeducation.org/Conseilpedagogique.html) de noter fort justement qu’« en tant que cadre A de la fonction publique, chaque enseignant devrait être considéré comme concepteur et non comme simple exécutant, ilne devrait s’exercer aucune pression sur sa liberté pédagogique : organisation des contrôles ou examens blancs, progression, critères d’évaluation des élèves »… Le métier de professeur s’apparente par nature à une profession libérale car l’acte même d’enseigner requiert la liberté de penser et d’adapter ses méthodes, ses contenus et ses ambitions aux besoins réels des élèves.

À rebours, l’Éducation nationale prend les professeurs pour des agents d’exécution. C’est ainsi que le gouvernement précédent a pu instaurer sans tiquer, dans le cadre du concours de recrutement à la fonction de professeur des écoles, cette improbable épreuve : « Agir en fonctionnaire de l’État et de façon éthique et responsable » !

La seule fois où les caciques de l’Éducation nationale ont professé bruyamment leur attachement à la liberté pédagogique, avec une parfaite mauvaise foi, ce fut pour s’opposer à la circulaire du 3 janvier 2006 du ministre Robien interdisant la méthode de lecture globale. Bon nombre d’inspecteurs généraux entrèrent en fronde face à leur ministre au nom de la liberté pédagogique, celle-là même qu’ils avaient foulée aux pieds durant trente ans pour contraindre les instituteurs à utiliser la méthode à départ global et les mathématiques modernes.

Il n’en reste pas moins que la liberté pédagogique, comme toute liberté, a besoin d’être encadrée. Elle va de pair avec une obligation de prudence et de formation tout au long de la vie.

Mais sa contrepartie principale doit en être surtout la responsabilité : les professeurs doivent accepter de rendre publiquement des comptes sur le niveau et les progrès académiques de leurs élèves. C’est à l’évidence une révolution par rapport à la mentalité actuelle.

L’évaluation des résultats est un tabou puissant à l’Éducation nationale. Ainsi, à peine arrivé rue de Grenelle, le ministre Peillon supprima-t-il les évaluations nationales de CE1 et CM2 que son prédécesseur avait laborieusement introduites. Pourtant on ne voit pas ce que les bons professeurs auraient à craindre de l’évaluation de leurs élèves.

Et quant aux mauvais, est-il légitime que personne ne soit capable d’en délivrer les enfants, comme c’est le cas aujourd’hui ? Les professeurs eux-mêmes sont aujourd’hui soigneusement laissés dans l’ignorance de l’efficacité de leurs pratiques professionnelles comparée à celle de leurs collègues. Est-ce normal ?

Actuellement, les seuls contrôles pédagogiques portent sur les professeurs, plus précisément sur la conformité de leurs pratiques à une certaine doctrine pédagogique officielle ; ils sont diligentés par les inspecteurs de la Direction académique. Ces inspections sont dépourvues de légitimité puisqu’elles portent sur les moyens pédagogiques mis en œuvre et jamais sur les résultats qui en découlent. Tant qu’elles n’auront pas pour but de corréler la carrière du professeur aux progrès réalisés par ses élèves, elles seront essentiellement nuisibles et déresponsabilisantes, voire infantilisantes. Qu’il est étrange de voir tant de professeurs trembler à l’idée d’éventuelles inspections alors qu’elles interviennent en moyenne tous les 5 ans dans le public et tous les 7 ans dans le privé ! La perspective seule suffit mystérieusement à faire rentrer dans le rang des professeurs par ailleurs souvent assez libertaires dans leurs idées. Pourquoi ne pas les supprimer ? La Finlande, modèle éducatif admiré de tous, s’en passe très bien. Les professeurs échangent sur leurs bonnes pratiques et se forment entre pairs.

Le pacte de confiance entre État, famille et école, qui a volé en éclats ces dernières années, ne pourra être restauré que si l’on reconstruit résolument notre système scolaire sur la confiance et la transparence.

Il conviendra de faire confiance a priori aux parents pour choisir ce qu’il y a de mieux pour leurs enfants. En cas d’investissement insuffisant ou d’incapacité des parents, les professeurs pourront – comme ils l’ont toujours fait – exercer un rôle de conseil actif auprès d’eux pour les aider à trouver les solutions éducatives les plus adaptées aux aptitudes, ambitions et projets de leurs enfants. De même, les professeurs devront jouir de la confiance a priori de l’État et des parents pour choisir les meilleures méthodes et les meilleurs savoirs et oeuvres à étudier. L’État veillera à ce que des tests nationaux soient organisés en début et fin d’année dans toutes les classes et leurs résultats dûment publiés par professeur et par école. C’est le meilleur moyen d’éclairer les professeurs sur l’efficacité réelle de leurs pratiques pédagogiques et de permettre l’identification des meilleurs professionnels auxquels la formation des jeunes enseignants et les directions d’établissement devront tout naturellement être confiées. Les professeurs devraient aussi à notre sens présenter publiquement la progression qu’ils comptent adopter, les manuels, les textes, les méthodes sur lesquels ils s’appuieront… Sur cette base, les familles choisiront les écoles en toute connaissance de cause, ce qui permettra accessoirement aux fils de professeurs de cesser d’être les grands privilégiés du système éducatif actuel ! Bref, cela induira au passage un indubitable progrès de la justice et de l’égalité des chances.

Anne Coffinier,
directeur général de la Fondation pour l’école

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