29 septembre 2016

L’enseignement des langues étrangères à l’école et quelques arrière-pensées

babel
Après une polémique portant sur la fin des ELCO (enseignements de langue et de culture d’origine) et leur intégration au socle commun, le ministère de l’Education nationale a réexpliqué sa réforme et a diffusé sur son site deux infographies, destinées à « tout savoir sur l’apprentissage des langues vivantes à partir de la rentrée 2016. ». Très claires, elles permettent de se faire une idée précise de cette réforme.

L’apprentissage des langues sera « plus précoce pour tous. » La première langue vivante sera étudiée dès le CP (au lieu du CE1), et la seconde dès la 5e. Si la LV1 étudiée n’est pas l’anglais, son apprentissage en LV2 débutera dès la 6e.

De plus, 1H30 par semaine de cours de langue pourront être ajoutés dès le CP pour les élèves intéressés, qu’ils aient ou pas un lien avec le pays dans lequel cette langue est parlée et qui a passé un accord avec la France pour faire dispenser des cours de sa propre langue par ses professeurs dans le cadre de l’école publique française (et l’on suppose, aux frais du contribuable français). Ce dispositif est en place dès cette rentrée 2016 pour le Maroc et le Portugal, donc pour l’arabe et le portugais. D’ici 2018, l’ancien dispositif des ELCO aura disparu (il réservait l’enseignement de ces langues aux enfants ayant un lien avec le pays partenaire donc déjà exposés à la langue en famille et ayant le plus souvent cette langue comme langue maternelle) au profit de l’introduction progressive, au gré de la conclusion des accords avec les pays, des EILE ou enseignements internationaux de langues étrangères (lesquels sont ouverts à tout élève intéressé, même dépourvu de liens personnels ou familiaux avec la langue enseignée).

Derrière l’aspect séduisant du « Plus de langues enseignées plus tôt par des professeurs parlant la langue sans accent français », se posent des questions politiques évidentes.

Cette réforme permettra à des enfants sans connexion par exemple avec l’arabe ou le turc d’apprendre gratuitement ces langues, dans le cadre de l’école de la République, alors qu’ils n’ont aucun lien avec ces pays, au contact de professeurs étrangers pas nécessairement habitués à la culture française. Dans certaines banlieues où le français n’est pas ou mal parlé dans un nombre important voire dominant de familles, les élèves verront leurs efforts d’apprentissage dispersés entre trois langues : le français, l’anglais (ou une autre LV1) et la langue dominante dans le quartier (qui s’imposera très vraisemblablement à l’école publique, dans le cadre des EILE, le choix du chinois par des familles majoritairement musulmanes issues d’Afrique semblant assez peu vraisemblable !). Est-ce un service à rendre à ces enfants qui ont déjà souvent du mal à s’intégrer parce qu’ils ont justement une faible connaissance de la langue et de la culture française ? Est-ce que cela facilitera leur intégration ou au contraire encouragera le développement du communautarisme culturel et linguistique ? Est-ce que cela ne perturbera pas l’apprentissage de la lecture et de l’écriture, surtout dans le cas de langues proches (où l’association graphème/phonème s’en trouvera compliquée car changeant d’une heure à l’autre de cours), même si l’on prétend mettre l’accent sur l’oralité dans les premières années ? La priorité de l’Etat français n’est-elle pas plutôt au renforcement de l’enseignement du français pour tous, avec l’ajout d’heures supplémentaires pour les enfants ayant un bagage linguistique réduit en français, quelle qu’en soit la raison ?

Une telle réforme soulève de légitimes interrogations sur l’agenda politique de ceux qui la promeuvent : l’inculturation dans la langue française, la pratique précoce de la littérature classique et de la poésie pour développer de goût de la « belle langue » et l’appétence pour la « haute culture » (à laquelle on ne peut accéder que dans une langue que l’on maîtrise en profondeur) sont volontairement sacrifiées au profit de langues conçues comme de simples véhicules de communication, selon une perspective utilitariste : des Esperanto en quelque sorte, et la mise à l’honneur du multiculturalisme. L’objectif de faciliter les échanges et la circulation de personnes et de biens, donc des objectifs de marché, se reconnaît aisément derrière ce projet de multiplier les langues étudies et en rendre l’apprentissage plus précoce.

La probabilité est forte que ce dispositif des EILE – précisément parce qu’il est ouvert à tous, et non pas aux enfants déjà reliés par leur histoire à un pays locuteur de la langue demandée – joue, dans certaines cités, le rôle pervers d’un mécanisme d’intégration inversée. Il aidera les non-allophones à apprendre la langue de la composante « dominante » du quartier pour mieux s’intégrer et être acceptés par leurs camarades. Après la musique, l’accent, le style vestimentaire, les rituels de salut des populations d’origine étrangère majoritaires dans les banlieues, ce sera donc la langue elle-même, avec la culture qu’elle exprime inévitablement, qui sera acquise et pratiquée par les non-allophones.

Pour bien comprendre les enjeux du débat, consulter le dossier technique.

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