4 décembre 2013

L’initiation au fait religieux dans les programmes de 6ème

tribunelibre-blog-liberte-scolaireLa filière « lettres classique», n’est plus qu’un continent englouti. Sa visibilité, c’était le latin et le grec. On assiste à l’effondrement de la filière littéraire. Cette destruction programmée dont l’histoire reste à écrire n’est pas terminée[1]. La réforme en 2011 du programme de français de la classe de 6ème a notamment introduit subrepticement le Coran dans les programmes obligatoires. Tribune libre de Marion Duvauchel,  professeur certifiée en lettres et docteur en philosophie.

L’enseignement du français dans les classes de 6éme incluait une séquence liée à la « culture humaniste » qui avait pour objectif d’initier aux mythes, contes et légendes et textes fondateurs. On y proposait une liste de textes fondamentaux tenus pour constitutifs de la littérature européenne : Homère, Virgile, la Bible, Ovide et l’épopée de Gilgamesh. Tous statuts confondus, il est vrai… Ce programme exigeait déjà quelques notions d’anthropologie, une claire distinction des aires sémantiques de termes comme « mythes, religions, légendes et contes. »

Depuis 2011, la séquence des textes fondateurs s’est scindée en deux : elle a aussi désormais pour objectif d’initier au fait religieux. Voici le texte officiel :

« L’enseignement du français donne à chacun les éléments maîtrisés d’une culture nécessaire à la compréhension des œuvres littéraires, cinématographiques, musicales et plastiques[2]. Les lectures conduites en classe permettent d’initier aux mythes, contes et légendes, aux textes fondateurs et aux grandes œuvres du patrimoine. Elles sont aussi associées au travail sur le lexique et à la découverte des formes et des genres littéraires. Elles suscitent la réflexion sur la place de l’individu dans la société et sur les faits de civilisation, en particulier sur le fait religieux. Le socle commun de connaissances et de compétences prévoit, au titre de la culture humaniste (pilier 5) que, tout au long de la scolarité au collège, les élèves soient « préparés à partager une culture européenne par une connaissance des textes majeurs de l’Antiquité (L’Iliade et L’Odyssée, récits de la fondation de Rome[3], La Bible) » et que soit ménagée en classe une « première approche du fait religieux en France, en Europe et dans le monde, en prenant notamment appui sur des textes fondateurs (en particulier des extraits de La Bible et du Coran) dans un esprit de laïcité respectueux des consciences ».

Il faut, même à grands traits, dire quelques mots de cette culture qui est la nôtre. La Grèce invente la Muse, des mythes d’une richesse incomparable, multiplie les chefs-d’œuvre, des épopées, des poésies hymniques, le théâtre et invente la philosophie.Rome la conquiert, la domine militairement mais il en adopte tous les grands modèles culturels, empruntés à la langue d’Homère et de Pindare. L’orbis litteratum du monde romain repose sur trois noms : Virgile, Horace, Ovide… Virgile va reconduire Homère et retransmettre ces modèles culturels littéraires à tout le Moyen âge latin. Tous les théoriciens futurs de la littérature seront redevables de ce que Horace a élaboré, et se revendiqueront de lui, Boileau le premier. Le classicisme s’inspire directement de l’art poétique élaboré dans le monde romain.Quant à Cicéron, il va léguer à toute l’antiquité et au Moyen âge cet art oratoire, cette « rhétorique » qui reste la largement encore la norme contraignante du bien écrire.

Parallèlement au monde gréco-romain, dès le début des jeunes églises, du premier au IVe siècle, un effort de pensée va s’initier, assumé par une élite de penseurs qu’on appelle les Pères et les Docteurs[4]. La culture grecque nous est parvenue par le moule des écrits des Pères de l’Eglise ancienne. Tout ce qui a été sauvé de la culture antique l’a été par le filtre de la première synthèse judéo-chrétienne.

Contrairement à ce qu’ont fait accroire les protagonistes de la Renaissance de Pétrarque à Rabelais, le rapport entre lettres antiques et lettres médiévales est à penser en termes de continuité féconde, et non de rupture.

Dans l’histoire philosophique, l’une des manifestations de l’humanisme chrétien fut la rentrée d’Aristote en Occident (la somme de la science grecque en son temps). Ce que l’on appelle l’Aristotélisme est le nom donné à la doctrine dérivée des œuvres d’Aristote chez le Persan Avicenne et l’Arabe Averroès, progressivement adoptée au XII et XIIIe siècle par la Scolastique. L’apport « arabe » est en réalité essentiellement persan. A cela il faut ajouter l’apport des chrétiens d’Orient. C’est par ces traductions arabes – données par les chrétiens de langue syriaque, grands traducteurs devant l’Eternel – que revinrent en Espagne, puis en France, les œuvres des philosophes grecs[5].

L’humanisme occidental c’est la fusion dans le même creuset de la philosophie grecque, de l’esprit juridique latin et de la théologie judéo-chrétienne. L’avenir de l’Europe est inséparable de trois idées : celle de la vérité objective, universellement valable, résultat d’une contemplation pure ou d’un effort strictement rationnel ; elle est d’origine grecque ; l’idée de la personne humaine, chaque personne ayant une valeur, personne irremplaçable, libre pour une existence unique ; elle est d’origine chrétienne ; enfin l’idée de la technique maîtresse de la nature, multipliant les pouvoirs de l’homme et ses possibilités de richesse.

Ce qui n’est pas sûr, c’est que l’histoire de cette Europe se poursuive dans un climat spirituel où la personne garde sa valeur.

En particulier, la personne des êtres nés sous le signe du féminin…

Intégrer le Coran dans une séquence liée aux textes fondateurs, comme le prévoit le texte cité plus haut, c’est d’abord ignorer le statut du texte coranique : la lettre même du Coran, selon les théologiens de l’Islam est incréée, le Coran n’appartient pas à la Création. C’est pourquoi pour des musulmans, le mettre à l’étude comparée est un blasphème.

L’anthropologie de l’Islam n’est pas la nôtre ; la lente et progressive édification s’est réalisée à travers le triple héritage, grec, romain et hébraïque. L’Islam n’a rien de comparable au « Dieu vit que cela était bon » qu’on trouve dans la Genèse établissant ainsi un fondement solide pour une connaissance du monde sensible et même de la matière. Cela sera capital pour le développement futur de la physique. Pour l’Islam la mort résulte d’un problème de difficultés techniques que le Créateur n’a pu résoudre.

Plus important encore : il n’y a aucune liberté véritable dans la création islamique. Il en ressort un rapport à la parole bien précis : A quoi bon convaincre si tout est déterminé ? Quel destin possible si tout est déjà écrit ?

Les fondements mêmes de cette religion sont hostiles à toute notre tradition de rhétorique, à notre tradition de liberté.

Le Coran, qui touche à tous les aspects matériels, techniques, socio-économiques de la vie, ignore la distinction des deux royaumes, le temporel et le spirituel, établie très tôt dans l’histoire de l’Eglise par saint Augustin[6].

Intégrer le Coran en le mettant sur le même plan que la Bible, dans le cadre d’une séquence sur les textes fondateurs de l’Europe, c’est inévitablement semer la confusion dans les esprits quant à leur propre tradition culturelle. Surtout quand on connaît le niveau de formation des enseignants « matriciés » dans les IUFM.

Nous avons trois mères, Athènes, Rome et Jérusalem.

La Bible est une parole de salut pour les croyants, mais elle est aussi un texte fondateur pour tous. Elle nous vient comme tous les savoirs, par la mémoire, par quatre millénaires d’histoire, depuis qu’Abraham entend entre la Chaldée et le pays de Canaan, la voix de la Promesse.

Ce que Dieu avait à nous dire était si grand, si lourd, qu’il a fallu quatre millénaires pour le faire entrer, lentement progressivement dans l’histoire, à travers la diversité des langues et des cultures.

Ni Médine, ni la Mecque ne font partie de notre mémoire culturelle.

Mais on peut reprogrammer la culture pour qu’elles le deviennent…

Marion Duvauchel,  professeur certifiée en lettres et docteur en philosophie.


[1] Aujourd’hui, grâce à la nouvelle réforme, en terminale L, les élèves n’ont plus que deux heures de littérature tandis qu’on a maintenu en filière S les heures de mathématiques et de physique qui constituent le corps de cette filière, qui en fait la cohérence et d’ailleurs aussi le prestige. Les chiffres sont accablants. L’université d’Aix en Provence, réputée parmi les meilleures en sciences humaines il y a encore trente ans, compte en première année de lettres classiques dix étudiants. Ils sont encore huit en deuxième année. Ils ne sont plus que deux en licence. Le Capes de lettres classiques va être supprimé et remplacé par un Capes unique, avec option lettres classiques. On aura alors toute latitude pour supprimer ce qui reste du latin.

Ce fut l’honneur de Pierre Grimal, de Jacqueline de Romilly, de Jean-Pierre Vernant – et sans doute de quelques autres moins connus – que d’avoir défendu les lettres classiques et cette culture humaniste dont, hellénistes, ils étaient les derniers représentants.

[2] Tous statuts confondus…

[3] Auparavant, le grand texte était l’Enéide, et le grand auteur Virgile. Désormais, ce sont des récits de la fondation de Rome…

[4]Justin, Tertullien, Origène, Clément d’Alexandrie, Eusèbe de Césarée. Pour ne citer que quelques-uns.

[5] Monseigneur Alichoran, l’Evangile en araméen, spiritualité orientale, n° 80, Abbaye de Bellefontaine, 2002. Ces chrétiens qu’on assassine dans la plus grande indifférence en Syrie, et qui sont les derniers locuteurs de l’araméen, la langue que parlait le Christ.

[6] La cité de Dieu.

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