3 novembre 2011

Égalité des chances OU liberté d’enseignement : faut-il choisir ?

Une tribune libre de Jean-Noël Dumont,  philosophe, directeur du Collège supérieur de Lyon.

« Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits »… La célèbre formule est évidemment une déclaration de principe, non une observation. Des conditions de l’accouchement à celles de l’éducation, tout contredit dans les faits le principe de l’égalité et lui fait violence. Comment corriger les différences économiques, sociales, culturelles ou politiques qui pèsent telle une fatalité sur des hommes qui naissent égaux et « partout sont sous les fers » ? Faire échec au destin, chercher une égalité réelle sans se contenter d’une déclaration de principe, c’est sans doute une des missions de l’école. Mais on sait que la volonté d’égaliser les conditions pour forger l’égalité a dans l’histoire lancé le rouleau compresseur du totalitarisme. Il faudrait en effet, pour corriger les inégalités, supprimer les familles, les régions, les traditions, établir enfin l’égalité par l’uniformité des conditions. Faut-il donc se résigner à ce que l’égalité contredise la liberté ?

L’école n’a pas échappé à cette question

Un même programme est diffusé en France par des professeurs censés être de même compétence et enseigner avec les mêmes méthodes dans des établissements identiques en chaque recoin du territoire. En dépit des réécritures de l’école républicaine, cette uniformité ne fut pas imposée pour assurer l’égalité des chances mais pour construire l’unité nationale et faire des soldats. Telle était la mission des « hussards noirs » que rencontra Péguy.

Encore faut-il dissuader les familles de faire travailler leurs enfants à la maison, d’où l’interdiction des devoirs à la maison dès 1956. Il faut aussi leur interdire de choisir l’établissement où iront leurs enfants. On ajouta ainsi la « carte scolaire ». Seules des réécritures délirantes peuvent voir un facteur d’égalité dans cette mesure qui enclôt chacun en son quartier. La « carte scolaire » fut d’ailleurs dressée pour des raisons de commodité de planification, pour accueillir les enfants du baby boom, non pour l’égalité des chances. Le « collège unique », lui, fut sans doute créé dans un souci d’égalité des chances. Avec le succès que l’on connaît, il assura au moins l’échec ouvert à tous.

Ainsi tournent les rouages d’une immense machine qui broie les libertés avec la meilleure volonté du monde et invoque a posteriori l’égalité des chances. On finit par confondre l’égalité des chances avec l’uniformité des conditions et suspecter toute liberté. L’école n’offre plus alors qu’une voie unique d’accès symbolisée par le baccalauréat ; un formidable embouteillage en résulte où tous se trouvent immobilisés sauf les petits malins qui connaissent les chemins de traverse. En confondant l’égalité des chances et l’uniformité des conditions, l’école devient ce couloir de l’échec où l’on ne trouve au final ni liberté ni égalité, chacun étant laissé à son destin. Les puissants cheminent à l’abri des discours sur l’égalité des chances.

On peut sortir de la contradiction

Il faut pour cela bien entendre ce que signifie égalité des chances, égale ouverture des possibles plutôt qu’encadrement des conditions. Il faut d’abord que chaque enfant, chaque famille, puisse espérer sortir de son destin par la réussite scolaire. Quel enfant place aujourd’hui sa confiance dans l’excellence pour sortir de son ornière ? On en est très loin dans ces établissements ghettoïsés ou s’évertuent  généreusement des enseignants découragés. Il n’y a pas de justice sans qualité.

Les voies offertes à l’enfant doivent être multiples. Il n’y a pas qu’une seule voie de réussite, il n’y a pas qu’une seule forme d’esprit. Il faut pour cela laisser faire l’inspiration des créateurs d’école, des pédagogues, des familles. Il n’y a pas de justice sans diversité.

Quand enfin s’ouvre un éventail varié, il faut qu’il y ait égalité devant le choix de l’école pour qu’il y ait une vraie égalité des chances. Que les familles puissent en effet se trouver dans des conditions semblables au moment de choisir l’établissement ou le type d’études de leur enfant. L’égalité devant le choix de l’école, c’est à la fois la largeur de l’information et l’aide financière aux familles quelle que soit l’école qu’elles choisissent. L’État a pour devoir de veiller à ce que tous aient accès au savoir, rendant le choix aux familles les plus modestes qui sont les plus désireuses de réussite. Les subventions publiques, en direction des écoles ou des familles, doivent rendre réelle cette liberté de choix.

Bref, c’est l’égalité devant le choix libre de l’école qui constitue la réalisation la plus effective de l’égalité des chances.

Jean-Noël Dumont,  philosophe, directeur du Collège supérieur de Lyon.

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