
In memoriam
La Fondation pour l’école tient à rendre hommage à l’abbé H.M. HOUARD, grand défenseur de la liberté scolaire, qui vient d’être rappelé à Dieu. Ancien secrétaire général de l’Université catholique de l’Ouest, il a été le fondateur de l’IRCOM d’Angers. Avec la gracieuse autorisation de Liberté politique, nous reproduisons ici le texte intégral de l’analyse originale qu’il avait publiée en février 2012 sur ce média.
Autonomie et liberté : L’Enseignement Catholique dans la confusion ?
Aujourd’hui, à propos des questions d’enseignement, il est d’usage de parler d’autonomie plus que de liberté. Or le concept d’autonomie est équivoque et n’a pas le même sens que celui de liberté. Nous réclamons certes l’autonomie pour les établissements scolaires mais plus encore la liberté de l’enseignement.
La loi Debré de 1959 ne parle pas « d’autonomie de l’enseignement privé dans le cadre d’une mission de service public » ni mêmes « d’établissement associés » à cette mission. Ce vocabulaire, qui est celui de l’enseignement catholique depuis les années Mitterrand et les accords Lang-Cloupet signés entre avril 1992 et mars 1993, n’est pas celui de la Loi Debré. Il n’est même pas dans la logique de la loi Debré. La loi Debré parle de contrat d’association. Dans le cadre de la loi de 1959 ce sont les classes qui sont « sous contrat », ce ne sont pas les établissements ni moins encore l’enseignement catholique. Au point que l’on peut ouvrir des classes « hors contrat » dans des établissements dits « sous contrat », c’est-à-dire des établissements où toutes les autres classes sont « sous contrat ». Une possibilité que certains directeurs d’établissements utilisent encore avec le soutien de leur conseil et sous le regard généralement désapprobateur ou suspicieux de l’Enseignement catholique.
Mission de service public
Ce glissement sémantique, que la loi Censi (votée, ce n’est pas un hasard, par la droite et la gauche) a consacré en septembre 2005, n’est pas anodin. Il correspond à une dérive du droit privé vers le droit public, qui n’est pas sans signification.
L’enseignement catholique ne cesse en effet de mettre en avant le principe juridique de « mission de service publique » pour justifier l’existence d’un enseignement catholique associé à cette mission. Un fondement qui n’est pas contraire au droit à la liberté de l’enseignement mais qui en pratique en réduit singulièrement la portée.
Faut-il rappeler qu’un service public est « une activité exercée directement par l’autorité publique, ou sous son contrôle, dans le but de satisfaire un besoin d’intérêt général désigne aussi un organisme public ou privé qui se voit confier « une mission de service public » quelle que soit sa forme : concession, licence, franchise, cahier des charges, fixation de tarifs, contrôle des investissements. etc.
Il est intéressant à cet égard que, dans le guide juridique publié par l’enseignement catholique, ne figure aucun chapitre sur la liberté de l’enseignement alors que sa mission de service y est largement évoquée.
La liberté d’enseignement comme droit fondamental
La légitimité de l’enseignement catholique si l’on suit ce document n’est pas fondée explicitement sur le droit inaliénable, « ontologique », « natif » à la liberté de l’enseignement. Mais sur « l’autonomie » – relative – que lui concède l’État dans le cadre d’une mission de service public : une certaine liberté de choix reconnue aux parents, une certaine liberté pédagogique, mais pas celle de créer ou d’ouvrir des classes sans son aval. L’autonomie ainsi conçue est une liberté concédée par la puissance publique, elle n’est plus la liberté fondamentale reconnue aux parents de choisir l’éducation qu’ils souhaitent pour leurs enfants et à l’Église de créer des écoles au service de sa mission d’évangélisation. Ainsi l’autonomie que revendique aujourd’hui l’enseignement catholique n’est autre, dans son principe sinon dans ses modalités, que celle – très discutée – que la loi Pécresse de 2007 accorde aux universités. Cette « autonomie », toute relative dans la pratique, est une manière de déconcentrer l’administration de l’État. Elle ne relève pas de l’application du principe de subsidiarité dont elle devient presque le contraire car elle repose sur une tout autre conception de la liberté et de la responsabilité. Cette autonomie toute administrative n’est qu’un acte de gestion de la puissance publique pour tenter de faire moins lourd, moins cher et si possible plus efficace.
Mission de service public et mission d’Église
Il ne s’agit pas de récuser tout cadre légal et règlementaire ; il est légitime que la puissance publique fixe des règles et des normes de qualité. Mais ce cadre juridique ne devrait être destiné qu’à permettre l’exercice de la liberté scolaire, au même titre que la liberté de créer des entreprises et de les développer.
Or, même si une certaine autonomie de gestion et d’initiative est reconnue à l’enseignement catholique, la liberté de créer des établissements scolaires lui est pratiquement déniée.
Au point d’ailleurs que dans le cadre de cette « mission de service public » il semble bien difficile d’articuler l’autonomie concédée avec la vraie liberté de l’enseignement telle que la conçoit le droit canon (Livre III, Titre III). En effet, l’Église revendique comme un droit naturel « le droit de fonder et de diriger des écoles de toute discipline, genre et degré.» (canon 800 – 1) et elle demande aux fidèles d’« encourager les écoles catholiques en contribuant selon leurs possibilités à les fonder et à les soutenir » (c. 800 – 2) ; de même pour les universités (c. 807 et sq.). Cette liberté d’enseignement, qui suppose la faculté de créer les écoles, devrait être garantie par la puissance publique. « Il faut que les parents jouissent d’une véritable liberté dans le choix des écoles » (c.797). Et le droit canon ajoute : « C’est pourquoi les fidèles doivent veiller à ce que la société civile reconnaisse cette liberté aux parents, et, en observant la justice distributive, la garantisse même par des subsides » (ibid.).
Dérive totalitaire
Nous en sommes loin. En France, seul l’enseignement public est gratuit. L’enseignement catholique ne l’est qu’en partie, à condition qu’il se soumette aux impératifs de l’Éducation nationale. Impératifs qui dépassent très largement un contrôle légitime de la qualité de l’enseignement et qui s’étend de plus en plus au contrôle de son contenu y compris éthique. Mais comment et pour quelles raisons empêcher cette impérialisme si l’on s’en tient à une simple autonomie concédée à l’intérieur d’une mission de service public et si l’on se refuse, pour des raisons pas seulement tactiques, à exiger le respect du droit fondamental à la liberté scolaire au même titre que celui à la liberté d’opinion.
L’autonomie, concept de droit public, permet à l’État d’imposer aux citoyens, chrétiens ou non, une philosophie et une vision du monde officiel : celui de la liberté scolaire ? Non. L’autonomie est un concept potentiellement totalitaire, celui de liberté jamais. Pour des raisons politiques l’enseignement catholique, en se coulant dans le moule que lui impose l’État, ne revendique plus la liberté de l’enseignement au sens radical du terme mais une autonomie de compromis. La dérive totalitaire du libéralisme est telle aujourd’hui que l’enseignement catholique estime ne pas pouvoir ou devoir exiger davantage. Mais cela ne peut être du point de vue du droit naturel qu’une position tactique. Certes, l’enseignement catholique participe à une mission d’intérêt général en vue du bien commun, mais il le fait au nom d’une liberté fondamentale. Si cette liberté était véritablement respectée, la question de l’autonomie des établissements scolaires ne se poserait même pas. La liberté d’enseignement serait reconnu à l’instar de la liberté de la presse, comme la base de notre démocratie »
À l’occasion des débats suscités par la loi Pécresse sur l’autonomie des universités, le fondateur de l’IRCOM et de l’Institut Albert-le-Grand commentait en décembre 2007 une table ronde ayant eu lieu sur la chaîne parlementaire autour de la ministre de l’enseignement supérieur, Valérie Pécresse. Un commentaire qui demeure d’une totale actualité.
Il est question de l’autonomie des universités, autonomie souhaitée par beaucoup, redoutée par quelques-uns. Mais de quelle autonomie s’agit-il ? Les propos du ministre laissent entendre qu’il s’agit principalement d’une autonomie de gestion aux mains d’un conseil d’administration restreint mais « ouvert », d’un président « stratège » et d’un Directeur général, véritable animateur de l’établissement (choisi par qui ?). Pas question de sélection à l’entrée : la porte reste ouverte à tous les bacheliers, appelés toutefois à la prudence par un bureau d’orientation. Les droits d’inscription et les dotations budgétaires sont fixés par l’État ; et surtout les diplômes restent des diplômes nationaux et sanctionnent des études dont contenu et horaires sont fixés à Paris par un de ces comités de spécialistes dont on connaît les effets. D’ailleurs le baccalauréat dont on paraît contester la valeur, n’est-il pas un diplôme national ?
Un tel cadre, laisse peu de place à l’autonomie véritable et donc à l’invention qui pourrait rajeunir le système. Peut-être convient-il aux établissements publics ? C’est leur affaire. Encore que ce soit surtout l’affaire de la France de demain et des contribuables d’aujourd’hui. Mais les établissements privés ? On peut d’autant plus s’inquiéter du sort réservé aux établissements privés qu’on ne parle pas. Or ce serait un comble, avouons-le, de voir brimer la liberté des uns à l’occasion de l’autonomie des autres.
Cette liberté d’ailleurs n’était pas très large, du moins était-elle garantie par l’État, réputé impartial : les étudiants du privé pouvaient prétendre à des diplômes « nationaux » devant des jurys indépendants des établissements publics. Ils étaient interrogés sur des programmes arrêtés dans les mêmes conditions que ceux de leurs camarades du public. Que l’État délègue ses pouvoirs à ses universités autonomes, c’est évidemment une menace. Comme la liberté de la presse, la liberté d’enseignement est à la base de la démocratie. On voit mal un journal local obligé de passer une convention avec « le Monde » pour continuer à paraître.
Avouons que ce serait dommage. Car s’il est souvent privé de ressources, l’enseignement privé ne l’est pas d’imagination. Pour ne parler que d’une ville, la somme des innovations privées à Angers est impressionnante. Qu’on en juge. Dès la promulgation de la loi qui l’autorise, en 1875, la faculté de droit, bientôt suivie des facultés de lettres, de sciences, et de théologie. En 1898, l’école supérieure d’agriculture et de viticulture, et bientôt l’école de commerce, l’école normale sociale, l’école d’éducateurs, l’école technique supérieure de chimie, l’école supérieure d’électronique. En 1966, le centre international d’études françaises. En 1970, les premières filières professionnalisées : institut de formation de professeurs, institut de perfectionnement en langues vivantes, institut de psychologie, institut de mathématiques appliquées suivi de l’Année de recyclage scientifique, institut de formation en éducation physique et sportive. En 1984, institut de relations publiques et de communication, et après les sessions de préparation à l’enseignement supérieur, l’Institut Albert-le-Grand pour la formation humaniste souhaitée par la ministre et tout récemment la Formation management du développement.
Évidemment il n’y a pas qu’Angers et il n’y a pas que le privé qui innove. Mais le bilan paraît tout de même assez spectaculaire pour qu’au moment où l’on cherche, enfin, à sortir du marasme, on reconnaisse et on favorise une liberté qui a fait ses preuves et qui pourrait encore en donner d’autres.
Pour voir son C.V. et sa bibliographie : http://www.ircom.fr/le-fondateur