6 mai 2012

Libérer l’institution, travailler en confiance – un chef d’établissement sous contrat témoigne

Comment agir librement et en vérité ? Telle est la question que se pose un chef d’établissement de l’enseignement catholique qui a dirigé plusieurs structures différentes – un collège en milieu rural et un collège-lycée en milieu urbain. Il passe en revue les insuffisances et les ambigüités du système avant de proposer des solutions pour sortir de cette fausse liberté.

En tant que chef d’établissement, ma préoccupation première est l’éducation des jeunes. Chaque jour, j’essaie de réaffirmer les principes fondamentaux de liberté et de vérité dans le cadre professionnel qui est le mien. Mais comment ne pas aliéner cette part de liberté dans un système où tout est tenu et où tout se tient ? Qu’en est-il de la liberté du chef d’établissement dans l’enseignement catholique ? Comment redevenir des éducateurs, des pédagogues, quand tout nous pousse à gérer notre établissement comme une entreprise, à grand renfort de tâches administratives et de commissions en tout genre ?

Des institutions et des instances, ou comment bloquer la liberté et les initiatives

Un rapide tour d’horizon permettra au néophyte de ne pas se perdre dans les arcanes des autorités multiples et de décrypter les sigles des nombreuses instances partenaires avec lesquelles le chef d’établissement doit souvent composer.

La nomination du chef d’établissement

Le chef d’établissement de l’enseignement catholique est missionné par la tutelle diocésaine ou religieuse, puis embauché par l’OGEC (Organisme de gestion de l’enseignement catholique) ; cette embauche est ensuite validée par le rectorat – lequel ne reconnaît pas juridiquement l’institution de tutelle : l’interlocuteur direct du rectorat est le chef d’établissement et non le directeur diocésain. Une première complexité apparaît donc dès la nomination du chef d’établissement.

Les professeurs

Comment le chef d’établissement peut-il manager une équipe qu’il ne choisit pas ? Il doit réserver des postes aux lauréats du concours, postes qui sont attribués d’office, sans lui demander son avis. Les enseignants choisissent leur établissement mais l’inverse reste impensable. Des accords sur l’emploi fixent des priorités dans le cadre des nominations. Les professeurs se savent sous l’autorité directe du recteur ; en l’absence de tout lien hiérarchique, ils peuvent aller jusqu’à narguer le chef d’établissement. Il est demandé à ce dernier de noter les professeurs. Mais quelle est la valeur de cette notation puisqu’elle est contrainte par le rectorat qui peut la reconsidérer ? Le métier de professeur se limite de plus en plus à la seule présence en classe, devant les élèves. Prendre des initiatives est souvent considéré comme du bénévolat, et certains enseignants sont montrés du doigt car « ils en font trop » aux yeux de leurs collègues.

Les enseignants sont des personnels qui ne sont pas sous son autorité mais dont il faut payer la prévoyance, qui comptent dans les effectifs pour les instances représentatives du personnel, dont il faut parfois prendre en charge les frais de déplacement pour des formations émanant des inspecteurs. Le chef d’établissement a davantage d’ascendant sur le personnel OGEC.

Les programmes

Le chef d’établissement n’a pas les moyens de prendre en compte la demande de liberté qui émane des enseignants, soumis à la pression des programmes et des inspecteurs. Tel professeur me dit : « J’aimerais faire plus de grammaire et étudier des œuvres entières. » Tel autre : « On n’a pas le temps de tout faire. » Un troisième : « Nous ne faisons plus d’histoire… » Nous les entendons régulièrement se plaindre : « Les élèves ne savent pas lire, ils n’ont pas de vocabulaire, ils ne s’intéressent pas, ils n’apprennent pas… » La transmission des savoirs est menacée par les tâches administratives. Un seul exemple : remplir le livret de compétences en collant au cadre légal est un véritable casse-tête et une perte de temps pour les enseignants.

Les instances 

Le chef d’établissement de l’enseignement catholique a pour partenaires le SGEC (Secrétariat général de l’enseignement catholique), le CODIEC (Comité diocésain de l’enseignement catholique), le CAEC (Comité académique de l’enseignement catholique), la CAAC (Commission d’accueil et d’accord collégial), le SAAR (Service d’accueil et d’aide au recrutement), l’UGSEL (Union générale et sportive de l’enseignement libre), l’UNSS (Union nationale du sport scolaire), le conseil d’établissement, le conseil de tutelle, le conseil pédagogique, le conseil de direction, le conseil pastoral… Que d’instances et de conseils, avec des sensations de redites, de confusions et de lenteur !

Le rectorat

Le rectorat suit de plus en plus l’organisation de la répartition de nos services (emploi du temps des professeurs), nous pose des questions sur tel ou tel changement. De nombreuses enquêtes en tout genre parviennent au chef d’établissement : utilisation de l’outil informatique, retards des jeunes, absentéisme, redoublements… Par ailleurs, il faut faire du secourisme, de l’éducation à la vie affective et sexuelle, de l’informatique, de la prévention, de l’éducation aux soins dentaires…

Les parents

Le chef d’établissement de l’enseignement catholique a de plus en plus affaire à des parents consommateurs, qui zappent et vont jusqu’à utiliser la justice pour régler leurs comptes. Pour eux, les enfants sont victimes de « phobie scolaire », c’est de la faute de l’école si rien ne va… Tous ces maux liés à l’école, il appartient au chef d’établissement de les gérer. Les parents sont parfois stupéfaits quand on leur demande de s’occuper de leur enfant. Ils attendent qu’on les soigne, qu’on les écoute, qu’on les éduque.

Des parcours uniques

Combien d’enfants s’ennuient parce qu’il faut rentrer dans un système qu’il ne leur correspond pas ? Quel gâchis ! Le potentiel de chaque élève n’est pas exploité car il n’est pas mis en situation de découvrir ses propres talents.

Quelques propositions pour avancer dans l’intérêt de l’enfant

De la nécessité d’une identité

Quand le projet d’établissement est clair et bien identifié, il est plus facile de donner un cap et de le tenir. Comment faire quand les ministres changent, les programmes évoluent, les repères éducatifs disparaissent et quand chacun s’en mêle ? La liberté passe par une stabilité, qui permet de construire cette identité.

Une vraie liberté

Le chef d’établissement doit pouvoir agir sans subir le poids de l’administration, afin de se consacrer à sa mission principale : remettre l’humain au cœur d’une cohérence d’ensemble. Avoir un cadre bien sûr permet de faire confiance aux initiatives et de les favoriser.

Adhésion au projet

Il est nécessaire que le recrutement puisse se faire par adhésion au projet et que l’on puisse mettre un terme à un contrat. Des enseignants qui adhèrent au projet, c’est la garantie d’une équipe unie. L’enfant sera donc éduqué en toute cohérence.

Des objectifs et non des programmes

Il faut sortir des contraintes qui bloquent, qui insécurisent et mettre en œuvre une dynamique d’objectifs. Voir l’objectif donne envie d’y aller.

Organisation du temps scolaire

Si chaque établissement peut fixer librement son organisation, il sortira des contraintes dues à un calendrier imposé de l’extérieur – vacances, horaires, examens… Il est important, pour tous les acteurs, de trouver un équilibre dans la gestion du temps. Sortir du « saucissonnage » des tâches facilite la rencontre régulière entre les éducateurs dont la tâche nécessite d’être toute la journée avec les jeunes. Il est donc impératif qu’enseignants et élèves se voient ailleurs qu’en classe, dans diverses situations. La cohérence passe aussi par une continuité de la présence de l’adulte dans l’établissement.

Implication des parents

L’école n’est pas l’institution qui supplée les parents. Il s’agit donc de leur redonner leur juste place, de les mettre en situation de confiance et non de défiance à l’égard du système scolaire. Il faut faire en sorte que les parents comme les enfants se sentent bien dans leur école et puissent s’investir. C’est cette cohérence entre les familles et l’école qui permettra la réussite les enfants. Les liens naturels créés entre les parties prenantes sont les meilleurs gages d’un rapport gagnant-gagnant.

Libérer l’institution

Pour conclure, s’il y a des pistes de réflexion intéressantes du côté du Secrétariat général de l’enseignement catholique, je ne crois pas en leur réalisation tant qu’il y a aura le poids du système. Avant de décréter l’autonomie des établissements, commençons par libérer l’institution, et arrêtons de vouloir tout centraliser dans l’enseignement catholique. Même s’il laisse un peu plus de place aux initiatives des chefs d’établissement, le Secrétariat général n’est que le pendant du ministère de l’Éducation nationale. La liberté de choix offrira aux familles des garanties de qualité ainsi que des parcours propres aux réalités de chaque élève.

Il est nécessaire de sortir de la logique de l’État (et des collectivités territoriales) et de la logique institutionnelle. Nous faisons les choses à l’envers quand il nous est demandé d’entrer dans un cahier des charges prédéfini. Actuellement, nous partons de ce qui existe pour le modeler. Aujourd’hui, le seul levier dont dispose le chef d’établissement est le recrutement du personnel OGEC à condition ou d’avoir besoin de le renouveler ou de créer des postes parce que l’établissement se développe.

Il serait bon de permettre aux initiatives locales de pouvoir s’appuyer sur les collectivités et les institutions pour défendre leur projet. Ce n’est pas le projet qui doit s’inscrire dans un cadre, mais le projet qui doit définir lui-même le cadre dans lequel il veut entrer. Le projet part de la réalité locale et des besoins perçus.

Permettons à un établissement existant de gérer son enveloppe financière de manière à recruter ses enseignants, monter son projet, proposer des parcours selon le rythme de l’élève, bénéficier des transports et organiser son rythme. Faisons l’expérience sur cinq ans. L’État fera des économies, la qualité sera là, l’équipe sera motivée et osera donner de son temps.

Je suis prêt à relever le défi. Aujourd’hui nous dépensons la majeure partie de notre énergie à essayer de faire. Il y a des réussites, mais à quel prix. Favorisons l’émulation entre adultes et entre jeunes. Les jeunes ont un vrai potentiel. Il est important qu’ils croient en eux. Arrêtons de dire qu’il faut réformer. Agissons.

Partager sur :

Facebook
Twitter
Pinterest
WhatsApp

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée

Poster commentaire