24 mars 2014

Littérature jeunesse : comment s’y retrouver ?

couv-livres4 019-2Le refus, bruyamment manifesté par de nombreuses familles, de la diffusion de la « théorie du genre » dans les écoles a eu un corolaire intéressant : de nombreux parents ont pris conscience à cette occasion de l’impact des idéologies sur la littérature de jeunesse. Il sort chaque année en France près de 9 000 titres nouveaux à destination des jeunes lecteurs. Auxquels s’ajoutent, bien sûr, les titres non épuisés des années précédentes. Comment s’y retrouver ? Il est de plus en plus délicat, pour les parents et les enseignants, de trier le bon grain de l’ivraie, d’autant plus que la littérature de jeunesse est au cœur de puissants enjeux commerciaux, idéologiques, intellectuels et esthétiques. Anne-Laure Blanc, auteur de « Une bibliothèque idéale – Que lire de 5 à 11 ans ? » (éditions TerraMare et Fondation pour l’école) et animatrice du blog « Chouette, un livre ! »  répond à nos questions.

« Papa porte une robe », « Tous à poil ! », « La vilaine Lulu », d’Yves Saint- Laurent : ces albums se retrouvent classés en littérature de jeunesse  sur Amazon ou sur les rayonnages des bibliothèques ou des classes enfantines. Les parents peuvent-ils réagir ?

Oui, bien sûr, il est de leur devoir de réagir parce que ce sont les premiers éducateurs et responsables de leurs enfants. Il a fallu que le débat sur le genre vienne sur la place publique pour que les familles aillent regarder de plus près les étagères des médiathèques publiques. Et d’y trouver des livres tels que « Tango a deux papas », « Mademoiselle Zazie et la robe de Max », ou « Mehdi met du rouge à lèvres ». Sur les mêmes étagères, se trouvent bon nombre de romans inquiétants, pessimistes, sombres… et sans valeur littéraire !

Cette emprise sur les représentations mentales des enfants est très inquiétante, car elle est profondément subversive. Comme le fait remarquer le pédopsychiatre Christian Flavigny (Le Monde, 17/02/2014), avec « Papa porte une robe », l’enfant « reçoit des fonctions paternelle et maternelle floutées, comme si celles-ci, dont le partage porte la venue au monde des enfants, étaient substituables et n’impliquaient pas l’enjeu de leur différence ». L’idée que « Papa porte un tablier pour faire la vaisselle » ne porte guère préjudice à la symbolique de la fonction paternelle ; mais « Papa porte une robe » brouille les repères au moment même où l’enfant les édifie. En langage d’enfant, on se « met tout nu » – mais la nudité adulte de « Tous à poil ! » constitue une menace inquiétante pas risible du tout. Ces livres, conclut Christian Flavigny, « malmènent les repères fondateurs pour l’enfant que sont ceux entre les sexes et les générations ».

Ces choix contestables des « médiathécaires » sont, semble-t-il, « facilités » par des listes publiées par les instances de l’Éducation nationale. Moi qui fréquente les rayons jeunesse des librairies, j’ai été très étonnée d’y croiser une fois – je dis bien une seule fois – deux institutrices venues choisir elles-mêmes des albums pour leurs classes de maternelle.

A l’autre extrémité du spectre, les rayons des grandes surfaces sont, eux, envahis de produits dérivés de l’industrie du divertissement.

En effet, à chaque dessin animé correspondent des jeux, des jouets, des vêtements, de la papeterie, et… des livres. Le texte en est généralement pauvre et mal adapté au lectorat francophone. Ces albums différencient cette fois de manière exagérée les filles et les garçons, selon des stéréotypes très américains. Pour les unes, le rêve selon Barbie, rose bonbon, paillettes, minauderies et artifices. Pour les autres, la violence et une hyper puissance artificielle, entre la Guerre des Etoiles et Spiderman. Vendus dans les grandes surfaces généralistes, ces livres aux couleurs acidulées, à la mise en page et à la fabrication bâclées vont compléter le chariot hebdomadaire des familles qui ne fréquentent pas les librairies. Il en est de même, pour les adolescents, de la « chick lit », littérature de poulettes, et de la « bit lit », littérature « mordante », autour de vampires et autres lycanthropes. Comme le faisait récemment remarquer Thibaut Dary dans Le Figaro (15/02/2014), « il est temps de dessiller son regard : les idées creuses, la faiblesse d’inspiration, l’indigence culturelle, les clichés narratifs, la paresse intellectuelle, le travail bâclé, la laideur et la vulgarité, font partie des rencontres possibles et fréquentes dans les pages de la littérature de jeunesse ».

Y a-t-il, selon vous, une tierce solution ? Quels ouvrages avez-vous retenus, parmi les sorties récentes ?

Cette « troisième voie » est celle des contes, des mythologies et de la littérature. Il existe encore bon nombre de livres à la fois vrais, simples et beaux.

Les contes traditionnels – Perrault, Grimm, Andersen – sont une mine inépuisable, à condition de choisir les textes originaux non édulcorés et de belles éditions. Ces récits montrent que, dans un monde parfois injuste, les petits héros s’en sortent grâce à leur ténacité, leur énergie et leur sagesse – sans oublier, parfois, leur malice !

Autre domaine plébiscité par les jeunes lecteurs : les récits mythologiques. Il en existe de nombreuses adaptations, notamment, pour le monde grec, par Françoise Rachmuhl, Muriel Szac ou Annie Collognat. Cela montre bien que nos enfants ont besoin de vrais « héros », qu’ils les trouvent dans les récits antiques ou dans l’Histoire de France : Pénélope, Antigone, Jeanne d’Arc pour les unes, Ulysse, Alexandre, Roland ou Bayard pour les autres.

Heureusement, les grandes maisons d’édition ont à cœur non seulement de conserver à leur catalogue les œuvres du patrimoine, mais aussi d’en confier l’illustration à des artistes de renom. Ainsi, les « Contes bleus du chat perché » de Marcel Aymé, sont illustrés par Nathalie Parain (Gallimard, 2013), « La Chèvre aux loups » de Maurice Genevoix par Rébecca Dautremer (Gautier-Languereau, 2013), « Les Contes de la rue Broca » de Pierre Gripari (Grasset), par son complice Claude Lapointe. Sont aussi réédités de grands albums Art Déco : « Patapoufs et Filifers » d’André Maurois, « Kô et Kô les deux esquimaux » de Maria Helena Vieira da Silva, « L’Histoire d’une boîte à joujoux » ou « Drôles de bêtes » d’André Hellé. Pour les plus jeunes, les albums du Père Castor ont un fonds très classique de contes qui se transmettent de génération en génération, de « La petite poule rousse » à « Marlaguette ». Certains textes classiques, un peu longs, ont été adaptés avec intelligence : ainsi, des « Trois Mousquetaires », chez Sarbacane, ou d’« Ivanhoé », chez Fleurus.

Point d’originalité dans tout cela, me direz-vous. Mais pourquoi faut-il absolument être « original » quand nous savons que les enfants n’aiment rien mieux que de lire et relire, ou s’entendre lire des histoires déjà connues ? Plus âgés, faut-il qu’ils lisent d’abord les inepties à la mode, ou les grands auteurs de notre patrimoine ?

A côté de ces grands classiques, quels sont les auteurs contemporains plébiscités par les jeunes lecteurs ?

Il existe, parmi les auteurs « pour la jeunesse » de très bons auteurs contemporains francophones. Je citerai, par exemple, Philippe Arrou-Vignod, Timothée de Fombelle, Erik L’Homme ou Capitaine Caval pour les romans d’aventure ; Catherine de Lasa, Marie-Claude Monchaux ou Sophie Humann pour les romans historiques. De courageuses petites maisons d’édition ont à cœur de publier de bons ouvrages : Téqui, Via Romana, Saint-Jude, les éditions du Triomphe, Pages de France…

Loin de moi de dénigrer les livres traduits de langues étrangères. Dès lors que la traduction est correcte, pourquoi se priver de découvrir des auteurs anglophones (Kipling, Stevenson, Conan Doyle ou Walter Scott), mais aussi tchèques (lire le très drôle « Ursin et Ursulin » de Zbyněk Černík, ed. MeMo), japonais ou coréens – ces derniers excellant dans les albums pour les plus jeunes.

Où les parents et les enseignants peuvent-ils s’informer et trouver de bons livres pour la jeunesse ?

Parmi diverses pistes, je vous suggère de vous référer à un guide pratique, « Une bibliothèque idéale » qui regroupe plus de 400 titres classiques et indémodables pour lire de 5 à 11 ans. Il a été élaboré en 2010 à partir de mémoires des étudiantes de l’ILFM, que j’ai mis en ordre et enrichis. Le livre paru, il m’a semblé dommage de ne pas continuer l’aventure. C’est ainsi qu’est né, à l’automne 2010, le blog « Chouette, un livre ! ». Il s’enrichit chaque semaine de quatre nouveaux titres, dont la grande majorité est disponible en librairie ou sur internet. Les livres sont regroupés par thèmes et par catégories d’âge, des tout-petits aux adolescents. Je privilégie les beaux albums, les livres sur la nature, les contes et légendes, et les auteurs classiques. Rien de triste ou de compassé ! Rien de démodé ou de ringard ! Moi aussi, j’aime qu’un livre me fasse rire ! Il m’arrive aussi de présenter des livres plus anciens, dénichés au hasard des brocantes, car ils font partie de la mémoire des familles. J’espère que chacun trouvera son « bonheur de lire » parmi ces 800 titres !

Acceptez-vous de venir présenter votre « bibliothèque idéale » dans des écoles ou à l’invitation de parents ?

Très volontiers. Cela me permet de dialoguer avec les familles et les enseignants, et de partager expériences, bonnes pratiques et belles trouvailles. Je peux aussi, à la demande, aider à monter une bibliothèque de classe ou d’école, à choisir des « livres de prix » – quelle belle fête à réinventer que la distribution de beaux livres en fin d’année !

Il est très important, face aux élucubrations et aux égarements de certains « acteurs culturels », de renouer avec le bon sens, de choisir avec discernement les lectures de nos enfants – tout comme nous établissons avec soin les menus quotidiens de notre famille ! Il est devenu urgent de proposer à nos enfants des livres qui les respectent, qui leur donnent des repères stables, qui éveillent leur conscience, qui les distraient et les instruisent dans le respect de leur personnalité.

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