25 mars 2012

Quelle place pour les parents dans l’école ? “Famille Chrétienne” a posé la question à Anne Coffinier et J.-P. Brighelli

Parents informés, voire surinvestis, parents démissionnaires, parents simplement vigilants ou inquiets à la veille du conseil de classe… C’est peu dire que la relation entre les parents et l’école est complexe et variée. Si chacun reconnaît que les parents sont les premiers éducateurs de leurs enfants, les avis divergent quand il s’agit de leur ouvrir les portes de l’école. Anne Coffinier, normalienne, directrice de la Fondation pour l’école, et Jean-Paul Brighelli, lui aussi normalien, professeur agrégé et auteur de La Fabrique du crétin, en ont débattu pour Famille Chrétienne.

Anne Coffinier Les parents sont les premiers éducateurs et les premiers responsables de leurs enfants. C’est une affirmation constante du magistère de l’Église et c’est aussi une vérité expérimentale vivement ressentie par chaque parent ! Il revient en revanche à l’État et aux organismes d’intérêt général compétents de mettre à la disposition de tous une information la plus complète, honnête et exhaustive possible sur la réalité de l’offre scolaire existante.

Il faut bien voir que l’on est face à un choix de société fondamental. Pour qu’il y ait un véritable État de droit, il faut tout d’abord que le choix de l’école soit reconnu et garanti constitutionnellement aux parents, que l’information sur la qualité de l’offre soit accessible à tous et que les parents aient les moyens financiers de jouir effectivement de ce droit.

Si l’État s’arroge le droit de choisir le destin de nos enfants à notre place, nous sommes dans une société de type totalitaire caractérisée par l’emprise de la sphère publique sur les familles et les consciences. C’est hélas en partie le cas aujourd’hui. Dans la mesure où l’État rend gratuit un seul type d’enseignement, impose la carte scolaire et interdit, à coup de lois, à l’école privée d’être gratuite, il pèse lourdement sur le choix des familles, surtout des plus démunies.

Aujourd’hui, l’institution scolaire entretient une relation très ambiguë avec l’autorité des parents qu’elle prétend reconnaître et même vouloir renforcer, mais qu’en pratique elle sape consciencieusement. Les parents sont infantilisés, tenus à bout de gaffe loin de la salle de cours. Leur autorité est souvent bafouée par une Éducation nationale qui s’aventure impudiquement jusque dans la formation des consciences des enfants à travers l’éducation civique ou sexuelle, ou l’invasion plurimorphe du politiquement correct dans la vie de l’école.

Qu’ils soient discrets, et on décrie le caractère démissionnaire des parents ; qu’ils expriment leurs critiques, et on les qualifie instantanément d’« enquiquineurs ». Les parents ne sont peut-être pas parfaits mais ce sont encore eux qui sont les plus légitimes à agir sur le destin des enfants.

Cela ne donne pour autant pas droit aux parents de se mêler de tout et de ne pas respecter les décisions des professeurs et directeurs. C’est parfois très compliqué, y compris dans les écoles hors contrat où les parents ont payé, fait beaucoup de sacrifices, et estiment en conséquence avoir un pouvoir à faire valoir.

Jean-Paul Brighelli – Si je peux me permettre, c’est le talon d’Achille de tout le système privé payant. On se retrouve à peu près dans la même situation que les annonceurs par rapport àla presse. Impossible de déplaire à une firme à laquelle la régie publicitaire fait les yeux doux — quoi qu’elle ose…

A. C. – Sauf si vous diversifiez les annonceurs. Ce que vous dites est vrai si vous dépendez de quatre parents. Quand vous avez suffisamment de charisme et d’attractivité, ce n’est plus le cas, notamment si vous avez des listes d’attente. Le parent sait qu’il y a une règle, une charte d’établissement, et que c’est cette règle qui rend l’école féconde.

On le dit aux parents : soit vous êtes d’accord, et vous ne pouvez manifester votre mécontentement que si l’école ne tient pas ses promesses. Soit vous désirez finalement autre chose que ce qu’on vous a promis et il est préférable que vous retiriez votre enfant de l’école pour le confier à un établissement qui réponde mieux à vos attentes. C’est la règle du jeu.

L’histoire du « j’ai payé donc j’ai le droit » existe dans les boîtes à bac lucratives, mais je vous garantis que ça n’existe pas dans les écoles associatives indépendantes dont la Fondation pour l’école s’occupe.

J.-P. B. – Les trois quarts des parents ne connaissent rien au système éducatif — par manque de formation, d’information ou de temps. Et encore moins aux matières enseignées, qui bien souvent diffèrent de celles qu’on leur a jadis enseignées. L’idée qu’ils puissent choisir librement l’école de leurs enfants est pour moi une vue de l’esprit.

Quant à la carte scolaire, elle a été largement assouplie, mais aujourd’hui encore, c’est la proximité qui est le premier facteur dans le choix des parents. Tout le monde n’a pas le loisir d’amener ses enfants dans un établissement situé à des kilomètres. Ou de les faire amener. Il y a un univers où les gens travaillent, et travaillent tôt, vous savez…

Et je préfère me battre pour que toutes les écoles soient d’excellence, plutôt que de voir une foire d’empoigne pour inscrire ses rejetons dans quelques établissements réputés, que cette réputation soit ou non fondée.

Il y a a contrario des familles qui ont démissionné en terme d’éducation…

J.-P. B. – La relation avec les parents, c’est en effet très complexe. D’un côté on a des parents informés, voire surinformés, qui à la limite viennent vous expliquer ce que vous devez faire en classe. De l’autre, certains sont en dessous de tout. Et au milieu, la grande masse des parents qui font confiance au système qui les a formés eux-mêmes.

Nous partageons la même idée de la culture. Quand vous connaissez l’ambiance des quartiers nord de Marseille, vous vous dites parfois qu’il n’est pas sain que les élèves rentrent chez eux le soir. Il faudrait dans certains cas les couper de la culture familiale, si on veut les arracher à un milieu totalement acculturé. Il n’y a pas quarante mille cultures, culture des quartiers, culture jeune, culture religieuse, ou que sais-je, mais une seule, la culture dominante. Bourgeoise. C’est pour ça que l’État, si son offre est fiable, a un rôle véritable. Par exemple avec les internats, qu’il faudrait multiplier.

A. C. – Sur le rôle des parents, je reconnais qu’il y a un monde entre l’idéal etla réalité. Ils sont incarnés, faillibles. Mais attention à ne pas prendre des décisions générales à partir de cas exceptionnels. C’est toujours comme cela que l’on supprime les libertés.

Confier le pouvoir éducatif à l’État sous prétexte qu’il existe des parents indignes est irrecevable. Toute société libre doit être fondée sur la confiance dans les citoyens. Si vous établissez une société sur la défiance, vous sombrez dans le totalitarisme. On ne peut pas transgresser cette règle d’or.

Tout doit être fait pour responsabiliser les parents, pour les placer dans une situation où ils seront contraints à poser des choix, donc à se renseigner pour choisir au mieux de l’intérêt de leur enfant. Là encore, des organismes d’intérêt général et l’État même peuvent les épauler, les éclairer, pas choisir à leur place.

J.-P. B. – L’État a tout à fait les moyens d’imposer nationalement à tous les établissements des règlements internes qui, par exemple, interdiraient les portables ou obligeraient à avoir une tenue correcte — sans que ce soit nécessairement un uniforme. C’est le cas dans mon établissement, ce qui met un terme aux concours de strings et décolletés plongeants comme aux petits films qu’on prend du prof quand il s’énerve ou de la copine dans les toilettes. Il faut aussi l’expliquer aux parents qui rechignent à laisser partir leur petit sans son portable pour pouvoir le joindre.

C’est un problème de société. De plus en plus de gosses vont à l’école pour se servir à l’étalage en quelque sorte. Un prof un peu exigeant devient vite un enquiquineur et un tyran, transformé par les gosses et revu par les parents. De même, les parents ont été les premiers à applaudir à la semaine de quatre jours en primaire — ça collait avec leur conception du week-end –, mais pas avec des programmes scolaires un peu exigeants.

Propos recueillis par Clotilde Hamon – Article paru dans le numéro 1784 de Famille Chrétienne daté du 24 au 30 mars 2012.

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