11 octobre 2011

Mi Otro Mundo: quand des Français créent une école libre dans un bidonville de Lima

Deux Français, Vianney Sauvage et Nicolas Asselin, se sont investis depuis plusieurs années pour aider des Péruviens à créer une école indépendante à Zapallal, un bidonville de Lima. Vianney Sauvage, coordinateur du projet Mi Otro Mundo, répond aux questions de Liberté scolaire.


Comment est né le projet Mi Otro Mundo ?

Le projet Mi Otro Mundo est né d’une rencontre entre deux Français et deux Péruviennes, Norma et Julia, issues de la zone de Zapallal, un bidonville situé au nord de Lima. Professeur et responsable administratif dans une école de cette même zone, ces deux femmes avaient le rêve de créer un centre éducatif, social et culturel proposant une éducation de qualité pour les enfants de la communauté de Zapallal. Pour renforcer le processus d’apprentissage, la présence des parents leur paraît indispensable et Mi Otro Mundo, à travers des ateliers, donne aussi l’opportunité de créer du lien social entre les habitants de la communauté pour lutter contre l’ignorance et la fatalité.

Pouvez-vous situer votre école dans l’offre éducative du Pérou et, plus particulièrement, en ce qui concerne la scolarisation des quartiers les plus favorisés ?

L’offre éducative publique est de qualité contestable en raison de la formation défaillante des professeurs, des conditions de travail inadéquates (surpopulation des classes…) et de nombreux facteurs externes mais déterminants dans la concentration des élèves accédant à l’éducation publique (malnutrition, famille monoparentale…).

En parallèle, une éducation privée s’est largement développée tant dans les quartiers les plus favorisés que dans des quartiers plus populaires mais les populations vulnérables ne peuvent y avoir accès car le prix de la scolarité est élevé.

Le projet Mi Otro Mundo cherche à résoudre ce problème de qualité d’éducation et d’accès à l’école. En ce qui concerne la qualité de notre éducation, nous sélectionnons les meilleurs professeurs de notre zone en leur proposant d’excellentes conditions de travail dans notre communauté. D’autre part, l’après-midi, nous proposons des activités scolaires et extrascolaires aux enfants comme aux parents. Cette organisation permet aux enfants d’être notamment de découvrir de nouvelles activités : théâtre, musiques, sports, activités manuelles, etc. En définitive, notre recette est donc de proposer des conditions du privé au prix de l’éducation publique.

Votre devise est « Manos, Espiritu y Corazón » – « Mains, Esprit et Cœur ». Pouvez-vous nous en dire plus ?

Depuis les premiers pas du projet, la marque de vêtement franco-péruvienne Misericordia est un partenaire particulièrement engagé à nos côtés car elle est issue de la même zone et souhaitait s’engager en faveur de notre communauté. En réunissant les deux fondatrices avec leurs idées puis Nicolas Asselin et moi-même pour les aider à structurer leur projet, Mi Otro Mundo est sorti de terre. 

« Mains, Esprit et Cœur » est la devise que nous partageons avec Misericordia : nous travaillons avec nos mains, notre esprit et notre cœur pour développer le projet Mi Otro Mundo et transformer le quotidien de centaines d’enfants et d’adultes.

Sur les photos de votre blog, les enfants portent parfois des uniformes. Pourquoi ce choix ?

L’uniforme fait partie des traditions scolaires au Pérou. Il est le symbole d’une fierté d’appartenance à son école et donc d’identification. C’est donc naturellement qu’il a été mis en place dans l’école. Cependant, nous avons travaillé avecla marque Misericordiapour sa confection et son design. En ce qui concerne le survêtement, nous avons repris les couleurs du drapeau arc-en-ciel, symbole dela culture Inca, sur une partie de chaque uniforme. L’idée étant d’ancrer la culture locale et traditionnelle dans le quotidien des enfants. Par ailleurs, le survêtement propose une couleur prédominante et différente selon le niveau de classe de chaque enfant : jaune en maternelle, orange en primaire, etc. L’objectif est de permettre à l’enfant de se voir grandir en se différenciant.

Comment est financée votre école ? L’enseignement est-il gratuit ou y a-t-il des frais de scolarité ?

Notre ambition est d’autofinancer le fonctionnement de notre école et du centre en général tout en restant accessible à l’ensemble de notre communauté.

Pour ce faire, le modèle économique consiste à séparer la partie investissement et la partie fonctionnement. La partie investissement porte principalement sur l’achat du terrain et la construction des bâtiments, voire leur entretien si nécessaire. Son financement se base sur des actifs (financiers, techniques, humains) qui proviennent de l’extérieur (France, Europe) sous formes de dons, de volontariat… 

En ce qui concerne le fonctionnement, une participation financière est demandée aux parents de chaque élève sous forme de frais de scolarité. Le prix fixé a pour but principal d’être accessible donc attractif pour l’ensemble dela population. Notreoffre, en termes de valeur, est très proche de l’éducation publique. Bien que celle-ci se veuille gratuite, de nombreux frais sont à prévoir pour les familles tout au long de l’année, ce qui représente à la fin de l’année un investissement proche de ce que nous proposons. En ce qui concerne le privé, les prix sont très disparates en fonction de la zone mais en moyenne nous sommes au minimum moitié moins chers que les écoles voisines.

Nous estimons nécessaire de mettre en place des frais de scolarité dans le but de responsabiliserla population. Toutne peut être gratuit et il est important qu’elle reconnaisse ce projet comme étant local. Ce sont Julia et Norma qui le gèrent au quotidien et nous, Français, donateurs ou autres volontaires, sommes amenés à disparaître alors que Mi Otro Mundo doit continuer à vivre.

Comment se concrétise, dans la vie quotidienne de l’école, le mécénat de la maison de couture Misericordia ? Est-ce seulement du mécénat ?

L’entreprise Misericordia est plus qu’un simple mécène. Elle nous a donné les moyens de réaliser tout un travail de recherche sur les besoins locaux et étudier la faisabilité de notre projet pendant une année en nous hébergeant, en mettant à disposition les supports techniques nécessaires, en ouvrant son réseau professionnel, etc. Par ailleurs, Misericordia nous a accompagnés pour la structuration de notre projet par ses conseils et sa connaissance du contexte péruvien. Enfin, Misericordia apporte sa touche artistique à ce projet ce qui se traduit par le design de la charte graphique de notre projet (logos, couleurs de l’école) et le don des uniformes et survêtements des élèves de l’école.

Le projet éducatif de Mi Otro Mundo va plus loin que l’instruction élémentaire. Quelles valeurs cherchez-vous à transmettre et par quels moyens ?

Au-delà de l’action éducative de base, notre centre propose des activités sociales et culturelles aux enfants, aux parents et à toutes les personnes dela communauté. Aujourd’hui, ces ateliers sont dispensés par les professeurs du centre ou les volontaires locaux et étrangers. Les activités sont multiples : théâtre, musique, sport, peinture, sorties culturelles etc., mais également macramé, danse, cuisine pour les adultes ou autres.

L’objectif est d’ouvrir l’esprit de la communauté à travers des activités nouvelles pour les inspirer, améliorer leur quotidien et voir la vie différemment. Mi Otro Mundo est un vecteur de lien social, un centre où il est possible à tous de réaliser quelque chose, quelles que soient ses origines et ses conditions de vie. C’est un lieu de rencontre et un laboratoire d’idées accessibles à tous !

Que vous apportent vos contacts avec la France, que ce soit avec les volontaires ou avec le centre aéré « Rigolo comme la Vie » de Roubaix ?

Sans aucun doute une ouverture d’esprit au-delà des limites géographiques de la zone de Zapallal. La population, cantonnée dans son quartier, partage la dynamique « internationale » du centre avec la venue des volontaires. De même, avec le centre aéré RCLV de Roubaix, les enfants partagent leur quotidien, les différences et les similitudes de leur environnement, de leur école.

Y a-t-il beaucoup de projets similaires au Pérou ?

Nous en connaissons deux dans la partie nord de Lima, mêmes si les ONG sont souvent installées au sud dela ville. Lecontexte du Cono Norte est très différent et la recrudescence de la population engendre de nouveaux besoins auxquels des projets comme Mi Otro Mundo, Mano a Mano ou Project Zapallal tente de répondre avec les moyens qui sont les leurs.

Si cette expérience est riche et innovante à l’étranger, quel regard portez-vous sur la situation de l’école française ?

C’est une question à laquelle nous ne sommes pas en mesure de vous répondre car nous ne sommes pas des professionnels de l’éducation. Notre travail consiste à accompagner des professionnels de l’éducation et gérer le projet Mi Otro Mundo mais nous ne donnons pas de cours. Notre connaissance du système français se limite à celle de tous les Français qui ont suivi un cursus scolaire des plus classiques. Néanmoins nous avons bien évidemment pris part aux discussions pédagogiques au Pérou et émis des idées issues de notre propre expérience.

Tout comme l’équipe sur place nous a permis de voir les choses différemment. A Mi Otro Mundo, l’implication des parents dans l’école ou les échanges avec l’étranger sont une vraie richesse pour les élèves. Également, l’identification des élèves à une école ne nous semble pas être assez développée en France. Or cette fierté d’appartenance semble favoriser le respect de l’institution et des professeurs. Du moins de la part des élèves !

Vianney Sauvage, coordinateur du projet
Le site et le blog de Mi Otro Mundo

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