28 septembre 2020

Quelle école après le confinement ? (épisode 1)

La question du numérique à l’école est on ne peut plus actuelle à la veille des États Généraux du numérique pour l’Éducation prévus pour novembre 2020 à Poitiers.

Le Blog de la liberté scolaire republie, avec l’aimable autorisation de la revue Liberté Politique à l’origine de ces contributions, 3 analyses de “l’école de demain”.

(Se procurer la revue : ICI).

Pour le premier épisode Lionel Devic, président de la Fondation pour l’école, livre une analyse de l’état des lieux des écoles sous l’angle institutionnel et un parallèle entre la crise sanitaire et celle du système éducatif.

Catherine Lucquiaud, docteur en informatique et en charge des questions numériques au sein de la fondation propose pour l’épisode 2 une analyse de l’école numérique sous l’angle “économique,” en interrogeant les enjeux de marché et les tendances lourdes à craindre révélées par le confinement.

Enfin, Marie Carrère, enseignante en histoire géographie, terminera cette analyse de l’école numérique sous l’angle de la relation pédagogique entre le professeur et son élève, avec une réflexion nourrie par les débats parus pendant le confinement sur ce thème.


Ce que nous enseigne le confinement sur l’état de l’école en France

Aspects politiques, éducatifs et numériques

Une crise agit toujours comme un révélateur. À cet égard, le confinement généralisé de deux mois qu’ont connu les français, notamment dans le domaine scolaire, est riche d’enseignements.

Qu’il s’agisse de l’organisation du système éducatif français, du rôle des professeurs ou de l’usage du numérique, le peu de place laissé à la liberté et à la reconnaissance de l’initiative privée est une des principales causes des maux français trop enracinés et que le confinement a accentués.

Et l’enseignement libre dans tout cela ?

Ce que nous a appris le confinement est qu’il en va de la question scolaire comme de la question sanitaire. Puisque nous étions « en guerre » (dixit Emmanuel Macron), nous allions voir ce que nous allions voir. Nous avons vu…

Ainsi, qui n’a pas été étonné par la politique sanitaire adoptée, en pratique, dans le traitement du coronavirus ? Faute de tests et de masques, le gouvernement dont l’imprévoyance était de plus en plus pointée du doigt a géré l’afflux de malades atteints par le virus de façon étonnante, à bien des égards, en tentant de donner des gages à une population facilement paniquée (panique d’autant plus grande que la politique mise en œuvre laissait penser que tous les français étaient logés à la même enseigne que l’Ile-de-France ou certaines grandes villes de l’est).

Ainsi a-t-on vu des pouvoirs publics organiser des envois de patients d’un bout à l’autre du pays, quelques malades étant envoyés de l’est au sud par avions militaires ou par des TGV affrétés dans des conditions rocambolesques. Nous avons même vu le chef de l’État prendre la parole le 24 mars, en chef de guerre, devant un hôpital de campagne montée par l’armée à côté de l’hôpital de Mulhouse pour accueillir… une trentaine de malades.

Tout était donc géré depuis le sommet de l’État et cette attitude toute jupitérienne a été reproduite au niveau des Agences Régionales de Santé qui, pour la plupart, ne se sont absolument pas senties concernées par l’existence d’organismes privés de santé largement capables d’absorber le flux de patients…

Il a fallu la mobilisation des syndicats professionnels des établissements privés de soins et des articles de presse pour mettre fin à l’absurde : pendant que les militaires montaient à toute hâte un hôpital de campagne à Mulhouse, des établissements de soins privés voisins étaient vides et n’avaient pas été mobilisés par les ARS ! Il y a même eu des zones géographiques dans lesquelles des cliniques, qui avaient dû stopper net tous leurs programmes opératoires, s’étaient donné les moyens d’être prêtes, avant l’hôpital public lui-même, à accueillir des malades…

Comment ne pas établir un parallèle avec la façon dont le ministère de l’Education nationale a géré la crise du coronavirus ?

Ainsi a-t-on vu là aussi des directives nationales uniformes pleuvoir sur les chefs d’établissements (dont on connait déjà le peu de marge de manœuvre) et entrainer la fermeture de tous les établissements de France, indépendamment de la situation sanitaire effective des différents territoires ; ces fermeture entrainant à leur suite un retour à la maison de tous les parents d’élèves et, mécaniquement, une indisponibilité de ces derniers pour leurs entreprises, grandes ou petites, et un confinement obligatoire de tous les professeurs, indépendamment du degré d’atteinte des différents territoires par le COVID.

Et lorsque la fin du confinement a pointé le bout de son nez, tous les établissements ont reçu un cahier des charges de plus de 50 pages (sic !) sur les mesures barrières à prendre, plaçant dans l’incapacité pratique bon nombre d’établissements d’accueillir à nouveau des élèves, sinon à titre symbolique.

Une organisation plus décentralisée, reconnaissant aux régions et aux établissements publics et privés sous contrat d’association avec l’État une plus grande autonomie, aurait certainement pu rendre le système plus apte à un traitement différencié du confinement. Ce dernier aurait pu être inexistant ou partiel, selon les territoires, et non généralisé. Au lieu de cela, la marges de manœuvre des établissements publics ou privés d’enseignement étaient inexistantes, tous sommés en pratique d’adopter les consignes uniformes de l’État.

Il ne pouvait théoriquement en aller différemment pour les épreuves nationales annuelles du baccalauréat et du brevet du collège, examens nationaux par excellence. Pourtant, pour ces deux épreuves, une catégorie d’établissements privés a d’abord été laissée de côté : les établissements indépendants, dont les classes ne sont pas sous contrat avec l’État. Dans cette crise, ils ont été considérés, ab initio, comme quantité négligeable.

Lorsque Jean-Michel Blanquer a annoncé le 3 avril que les lycéens scolarisés dans les établissements hors contrat ne pourraient bénéficier du contrôle continu pour leur bac et passeraient des épreuves en septembre, sans que le cas des élèves de troisième devant passer leur brevet ne soit évoqué, la surprise était grande.

Tout comme les opérateurs privés de soins, ces établissements étaient oubliés.

Le confinement a donc été l’occasion, pour la Fondation pour l’école, reconnue d’utilité publique depuis 2008, d’agir vigoureusement et avec efficacité pour la défense des écoles indépendantes et, en particulier, des élèves confrontés aux échéances des examens précités.

Elle s’est immédiatement mise en rapport avec un certain nombre d’écoles et avec le ministère. Au-delà du bac, la Fondation avait conscience que l’enjeu concernait également Parcoursup et la possibilité pour les lycéens de terminale en hors-contrat de pouvoir faire leur rentrée de septembre dans l’enseignement supérieur comme les autres et non de rater leurs premiers jours pour cause d’épreuves du bac à passer !

La Fondation a donc immédiatement réagi en faisant part publiquement de ses plus vives inquiétudes. Une telle mesure allait sonner le glas de l’égalité entre les élèves.

Parallèlement une pétition était mise en ligne (qui a recueilli près de 4 000 signatures) pour permettre à tous de se manifester contre cette rupture d’égalité. Elle évoquait également les candidats libres censés passer leurs épreuves du bac en septembre. Il paraissait en effet contestable d’écarter également du bénéfice du contrôle continu les élèves des établissements hors contrat d’enseignement à distance.

L’intervention rapide de la Fondation, appuyée par d’autres relais plus politiques, a donné des résultats puisque le Ministre a annoncé dès le lendemain que le contrôle continu serait finalement accessible aux élèves scolarisés dans le hors contrat pour obtenir leur diplôme du bac.

Une série d’échanges avec le ministère (cabinet et DEGESCO) est intervenue ensuite pour clarifier de nombreuses questions et obtenir d’indispensables précisions, en coordination avec tous les établissements mobilisés,

En autres sujet, celui du livret scolaire n’était pas le moindre…  : la Fondation avait pointé du doigt le moyen de faire remonter les notes des élèves de terminale du hors contrat au jury, et le cas des élèves de troisième dans le hors-contrat qui restaient les grands oubliés du système et les différences de niveau de notation continue entre les établissements.

Deux semaines plus tard, la version des “Questions-Réponses” du ministère ouvrait la possibilité aux élèves dépourvus d’un livret scolaire de se prévaloir d’un dossier de contrôle continu pour les épreuves du Baccalauréat. Une avancée de taille ! Puis deux décrets et arrêtés du 27 mai 2020 entérinaient enfin le fait que les élèves pourraient bien passer et obtenir leur Bac et leur Brevet 2020 dans des conditions comparables à celles des autres élèves scolarisés dans le public et le sous-contrat.

Le 19 juin, grâce à l’intervention complémentaire déterminante de la FNEP, le ministère a étendu aux candidats inscrits dans des établissements privés dispensant un enseignement à distance le bénéfice de la prise en compte des notes de contrôle continu.

La crise du confinement, épuisante pour nombre de familles et d’enseignants courageusement et majoritairement impliqués, a donc été clairement accentuée par un système national d’éducation faisant peu de place à la libre initiative et à l’autonomie.

Dans un récent article publié au sujet de cette crise, la question suivante était posée : qu’est-ce qui fait que certaines écoles puissent être plus résilientes que d’autres ?

L’auteur constatait alors les organisations qui réussissent le mieux dans cette phase, sont celles qui sont capables de prendre rapidement des décisions et qui disposent d’une équipe de direction diverse, où la décision est alimentée par des points de vue variés. Il constate en outre que les écoles qui s’en sortent le mieux « sont généralement flexibles et adaptatives.

Il s’agit d’organisations où l’on accorde de l’importance à l’apprentissage, au retour d’expérience, à l’amélioration continue et où, face à une situation nouvelle, on n’agit pas nécessairement selon les procédures, où les divisions ou départements ont une autonomie d’action suffisante et les mécanismes de coordination sont efficients ».

De même, « l’engagement et l’implication de l’équipe de direction, des enseignants et des autres employés d’une organisation scolaire sont un élément essentiel ; une organisation résiliente est aussi celle qui réussit à maintenir une cohésion d’équipe et pour cela elle peut se référer à ces valeurs partagées »

Comment ne pas voir que ces qualités décrites ainsi ne peuvent éclore dans un système massifiant et uniforme, alors qu’elles sont si nécessaires en temps de crise.

Dans ce contexte, relire « Et si on tuait le mammouth », publié en 2016, nécessite d’avoir de l’espérance à revendre… En effet, dans cet ouvrage à deux plumes, celle de Bernard Toulemonde (vieux routier de l’administration de l’Education nationale sous divers ministres, ancien recteur et ancien membre de plusieurs cabinets ministériels) dressait déjà lucidement les chantiers à conduire en vue de donner une réelle autonomie aux régions et aux établissements publics comme privés, gage d’une amélioration de notre système éducatif. La feuille de la route du ministre était déjà établie ; elle peine à être mise en œuvre.

Sur le plan institutionnel, le chantier reste titanesque. Et il reste prioritaire. Il est regrettable que la crise du confinement n’aboutisse pas, pour l’instant, à autre chose qu’à une pente dangereuse vers une numérisation toujours plus uniforme de l’école.

Lionel DEVIC,
Président fondateur de la Fondation pour l’école.
Tribune parue en juillet 2020.

Lire l’épisode 2l’épisode 3

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