8 septembre 2011

L’internat, expérience décisive de la communauté

Collégiens dans un internatL’internat est à la mode : il serait l’antidote aux décompositions et démissions de notre société. Malgré son coût élevé (de 3 700 euros à 18 000 euros l’année pour la France), il est de plus en plus recherché par les familles. L’État lui-même vient d’en ouvrir douze, les fameux « internats d’excellence », mais c’est le secteur hors contrat qui compte les modèles d’internat les plus accomplis. Nous avons rencontré les directeurs des internats hors contrat de Courset, Tersac, Châteauroux et Chavagnes-en-Paillers pour tenter de mettre au jour ce qui fait la force singulière de l’éducation en internat.

L’internat est, en première analyse, une solution pragmatique adaptée aux temps de crise.

C’est une réponse à la crise de l’enseignement, à la pénurie d’écoles de qualité. Parce qu’il devient très difficile de trouver près de chez soi une école convenable et conforme à ses attentes éducatives, voire spirituelles, de plus en plus de familles sont contraintes d’envoyer leurs enfants en internat.

C’est aussi une réponse à la crise actuelle de la famille. Lorsque la famille nucléaire est éprouvée, les parents et, de plus en plus !, les adolescents voient dans l’internat une planche de salut. Et quelle famille ne se reconnaîtra pas dans un des cas suivants : parents dévorés par leur vie professionnelle et par conséquent trop absents de leur foyer, familles monoparentales conscientes de ne pouvoir apporter une éducation complète à leurs enfants, enfants uniques souffrant de la solitude, jeunes déstabilisés par le divorce de leurs parents, familles recomposées ayant des difficultés pour gérer la cohabitation des différentes fratries, parents ne parvenant plus à communiquer avec leur adolescent et ayant des relations quotidiennes très tendues avec ce dernier, jeunes enfermés dans leur monde et indisponibles pour les études en raison de pratiques addictives (TV, ordinateur, jeux, musiques abrutissantes, alcool, drogues, réseaux sociaux virtuels), adolescents ayant de mauvaises fréquentations qui les détournent des études, ou perturbés et accaparés par le désir de plaire et de séduire l’autre sexe, familles nombreuses trop à l’étroit dans les logements de ville…. ? Autant de raisons compréhensibles de choisir l’internat, pour protéger l’enfant de lui-même, de sa famille, qui peut être perçue comme nocive, ou de l’avachissement de la société… Notons cependant que l’internat ne peut pas, en fait, pallier les déficiences des familles, car les responsabilités respectives de l’école et de la famille sont de natures distinctes.

Au-delà de ces raisons pragmatiques, il y a des raisons positives plus profondes qui plaident en faveur de l’internat.

La pension aide l’adolescent à se libérer des addictions qui l’enchaînaient dans la vie normale.

– À l’internat, les jeunes sont privés des conforts modernes qui généralement les isolent des autres (réseaux sociaux, mp3, jeux vidéo…). Ils deviennent alors disponibles aux autres, que ce soit pour jouer, discuter, ou tout simplement se serrer les coudes pour supporter la rigueur du cadre éducatif. L’internat est ainsi le lieu où naissent de grandes amitiés pour la vie entière.  (Châteauroux.)

– L’internat délivre aussi de la dictature des apparences (voyoucratie, culte des marques…). Il permet d’être vraiment présent à sa propre vie, là où l’on est. C’est pourquoi la devise de Tersac est « Age quod agis ». (Tersac.)

L’internat aide aussi l’enfant à se structurer grâce à un cadre et un rythme bien rodés.

– L’internat est une école de vie : il donne aux pensionnaires une hygiène de vie et des repères grâce à des journées rythmées, bien organisées qui aident à structurer la personne et à la rendre responsable. » (Courset.)

– L’internat est structurant pour les adolescents : il est particulièrement bon pour les enfants qui ont besoin d’une autorité masculine plus forte que celle dont ils disposent à la maison. À Tersac, l’encadrement est effectué par des hommes de 45 ans qui allient autorité et écoute des jeunes. « Une main de fer dans un gant de velours ! ». (Tersac.)

– À l’adolescence, les ados, et en particulier les garçons, ont besoin de prendre des repères à l’extérieur de la famille. Les garçons cherchent des modèles chez les hommes. C’est si vrai qu’une paroisse sans hommes engendre quasi mécaniquement des hommes incroyants. (Chavagnes.)

De plus, l’expérience collective de l’internat permet paradoxalement au jeune d’apprendre à se connaître dans sa singularité, à développer son intériorité.

– La vie d’internat est constamment collective. Cette contrainte est hautement éducative : les autres vous apprennent qui vous êtes et vous forcent à l’humilité et au réalisme. (Châteauroux.)

– À notre époque, l’internat permet souvent aux enfants de développer une relation plus intime et plus profonde avec leurs proches que quand ils vivaient sous le même toit. Notamment à travers l’obligation faite aux enfants comme aux parents d’écrire au moins une fois par semaine. Sont ainsi traités des sujets qu’ils n’auraient pas nécessairement abordés de vive voix. L’écriture pousse à réfléchir sur sa vie. (Courset et Châteauroux.)

L’internat répond aussi à des besoins propres à l’adolescence : besoin de dépenser son énergie, besoin de changement, besoin de trouver du répondant.

– L’internat permet d’éviter l’ennui en variant les rythmes et les postures d’apprentissage, en passant du face à face pédagogique à l’étude et aux jeux. C’est important, car les garçons, qui ont souvent beaucoup d’énergie à l’adolescence, ne supportent guère de rester derrière un bureau toute la journée. (Tersac.)

– L’internat est un lieu où « l’on trouve quelqu’un à qui parler ». Dans les externats de l’éducation nationale, les professeurs délivrent leurs cours et s’en vont, souvent plus préoccupés de leur situation professionnelle que du développement des enfants. Les jeunes demeurent seuls, sans interlocuteur adulte en face d’eux, sans personne pour répondre à leurs questions, voire à leurs provocations, sans personne qui s’engage. En internat, il y a un personnel d’encadrement, une direction et des professeurs qui répondent présents. (Tersac.)

De même, au niveau spirituel, pour les établissements religieux, l’internat offre la possibilité pratique de faire l’expérience de Dieu.

– L’internat est une maison dont le cœur est la chapelle. À Saint-Michel, les enfants peuvent faire l’expérience de Dieu, à travers la proximité permanente du Saint-Sacrement, la forte beauté de la liturgie. S’ils découvrent cette possibilité, c’est une illumination, ils deviennent véritablement chrétiens. (Châteauroux.)

Mais ce qui est le plus caractéristique de l’internat, c’est qu’il est un lieu de vie communautaire.

– L’internat est voué à être bien plus qu’un lieu performant de formation académique. L’internat est un lieu communautaire, où l’on contracte le goût de la communauté. Le cadre souvent rigoureux, les travaux collectifs, la pratique renforcée du sport… sont autant d’éléments qui permettent de vivre pleinement dans le groupe et de l’apprécier. Il est d’ailleurs frappant de voir l’attachement des anciens à leur école. Le directeur actuel de Tersac est ainsi un ancien de cette école. (Tersac.)

– Lieu de vie intellectuelle, culturelle, spirituelle, l’internat est une communauté vivante autour d’une communauté de maîtres qui recherchent la vérité, étudient et mangent ensemble. Les enfants sont associés à cette convivialité. Un peu comme les « Nations », ces communautés réunissant professeurs et élèves du temps de la Sorbonne médiévale.

C’est cette dimension communautaire qui permet à l’internat de nourrir la personne dans toutes ses dimensions. On cherchera avant tout à ce que le jeune interne aime ses maîtres, son école, bref, soit heureux et épanoui. Cela passe notamment par le sport quotidien, mais aussi par le chant quotidien et les rituels propres à l’école. Si un tel état d’esprit est créé, le jeune sera réceptif aux études. « L’atmosphère que l’on peut créer dans un lieu est plus importante que l’enseignement et le contenu », enseigne le cardinal Newman.

Une telle école pourra donner naissance à des esprits forts, précisément parce qu’elle est portée par des hommes complets qui engagent leur personne dans l’acte éducatif. La grande référence demeure à cet égard Thomas Arnold, directeur de Rugbyschool dans les années 1830-1840 et modèle pour des générations de collèges britanniques. On lui doit la formation de nombre d’esprits forts qui construisirent l’Empire britannique. (Chavagnes.)

En fait, en étant un lieu culturel très prégnant, l’internat correspond aux aspirations profondes de la jeunesse.

– Le jeune aspire à une expérience forte. L’externat n’est pas assez prenant. L’esprit de l’adolescent n’est « pas meublé » et la vraie vie pour lui commence souvent après l’école. L’internat est tout le contraire : c’est un lieu dense culturellement, un lieu nourrissant, un lieu qui vous habite.

– Il faut créer une culture forte. Maîtres et élèves sont portés par l’èthos, le génie du lieu (genius loci) : l’internat est un espace sacré hors du monde, un monde à part. (Chavagnes.)

Article paru dans Les Chroniques de la Fondation, n° 4, octobre 2010.

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