4 novembre 2019

“L’égalité des chances d’une inégale éducation”, par Philippe Delsol

Jean-Philippe Delsol publie “Éloge de l’inégalité” aux éditions Manitoba. L’auteur s’insurge contre la doxa contemporaine qui voudrait que l’égalité soit la mesure de toute chose. Extraits.

 

Jean-Philippe Delsol est avocat fiscaliste et président de l’Iref (Institut de recherches économiques et sociales).


L’éducation est paradoxalement le domaine où il peut régner la plus grande égalité parce qu’elle est l’objet de la plus grande inégalité par nature. L’éducation est en effet le lieu même où ceux qui savent apprennent à ceux qui ne savent pas encore. Par définition elle enseigne ce que les générations passées ont déjà appris pour éviter que le petit d’homme ait à redécouvrir tout ce que les civilisations antérieures ont déjà découvert et le progrès que cela leur a permis. Elle apprend aussi, et c’est essentiel, à porter un regard critique pour pouvoir aller plus loin. Mais pour disposer de cet esprit interrogateur et constructif encore faut-il connaître l’état du savoir porté par les générations antérieures. Il s’agit donc d’une relation nécessairement inégale dans laquelle l’autorité enseigne les acquis en même temps qu’elle ouvre à leur questionnement. C’est le rôle en effet de la bonne tradition de délivrer « tout prêt » ce que des siècles ont permis d’accumuler de bon pour les hommes, ce qui a réussi dans le passé pour le porter plus loin. Sinon, il faudrait que chaque génération recommence sans fin et nous en serions encore à l’âge de pierre.

Mais encore faut-il recevoir et acquérir cet enseignement. Sans l’éducation, les enfants recueillis par des animaux à la naissance ou peu après, comme plus simplement ceux que des parents laissent végéter dans la solitude d’un placard, comme cela arrive malheureusement encore quelquefois, demeurent sauvages et souvent restent attardés toute leur vie s’ils ne bénéficient pas d’un retour précoce à la civilisation et à l’apprentissage de leur monde. Les enfants d’homme, à l’inverse de ceux des animaux, naissent avec une capacité d’apprentissage mais peu d’acquis. Ainsi, parce que cette transmission est donc si nécessaire à l’homme, parce qu’elle est constitutive de son devenir, les parents doivent bien entendu en avoir, les premiers, le souci, mais la collectivité doit sans doute légitimement veiller à ce que tous les enfants bénéficient de cette instruction et faire en sorte que chacun puisse recevoir celle qui lui est la plus adaptée de telle façon que la communauté des hommes appelés à vivre ensemble soit assurée que chacun peut faire prospérer ses propres talents et qu’aucun ne perde cette chance sauf à la rejeter lui-même. L’État n’a pas pour autant particulièrement vocation et n’a aucune obligation à prendre en charge lui-même l’enseignement, mais seulement le devoir de s’assurer que tous peuvent y accéder. 

La réalité est que le monopole de l’instruction, qui a peut-être eu quelques mérites au temps des hussards noirs de la République, a désormais démontré son incapacité à délivrer les bases du savoir à tous et à promouvoir les élèves les plus prometteurs. Cette difficulté qu’a rencontrée l’école publique à remplir sa mission tient au fait qu’elle a voulu garantir l’égalité de niveau de tous les enfants et que, ce faisant, elle a dû les abaisser tous à l’étiage des plus médiocres à défaut de pouvoir relever celui de ces derniers. Mais plus fondamentalement, cette attitude a découlé naturellement de la centralisation du système scolaire joint à la volonté d’imposer plus que l’égalité des chances, une égalité sans retenue ni discernement, sans considération des différences et des attentes de chacun. L’échec de l’école tient souvent à la formation même des maîtres auxquels certains apprennent désormais à ne plus enseigner pour ne pas rompre le rapport naturel d’égalité avec leurs élèves.

La liberté scolaire viendrait rétablir une saine compétition entre les établissements scolaires pour faire ressortir les méthodes qui marchent et celles qui échouent et permettre aux parents de choisir entre eux. Elle répondrait mieux aux besoins des enfants autant que des parents.

Car au-delà de l’instruction proprement dite, le but de l’école est d’apprendre aux enfants à être autonomes. Une autonomie nécessaire pour permettre à chacun d’eux, selon le mot de Pindare, de devenir ce qu’ils sont, de s’ouvrir à une culture d’interrogation sur la profondeur de leur ignorance, de gérer l’incertitude et le questionnement permanents de l’existence, d’accepter des réponses possibles là où nous aimerions tant des réponses certaines, de transcender le tragique que traverse toute vie d’homme. Et cette autonomie, c’est-à-dire l’exercice de sa liberté par l’enfant, ne peut pas être bien enseignée par des écoles et des professeurs qui ne sont pas maîtres de leurs enseignements, qui ne sont pas eux-mêmes autonomes.

C’est à ce titre que la liberté scolaire est nécessaire presque de manière anthropologique, parce que des enseignants qui n’ont pas la liberté du contenu de leur enseignement et/ou de leurs méthodes d’enseignement ne sont pas préparés, ne sont pas construits pour enseigner l’art de la liberté et de son exercice. Il est difficile d’apprendre aux autres ce que l’on ne vit pas. Celui qui est coulé dans le moule uniforme d’un système de masse a forcément de la peine à penser et à accepter tout à la fois la singularité et la diversité, à les valoriser, à les prendre en compte, à apprendre à progresser avec l’inquiétude congénitale de l’homme sur lui-même et à en tirer parti. L’école d’État ne vit que de ses certitudes, de ses méthodes et ses programmes imposés, trop souvent enfermée dans son carcan idéologique qui l’empêche de guider les élèves dans un monde ouvert.

En matière d’éducation, l’État n’a pourtant ni obligation ni même vocation naturelle à construire des écoles et embaucher des enseignants, mais seulement de s’assurer que tous les enfants reçoivent une instruction correcte et de favoriser leur éducation. À cet égard, la liberté scolaire peut prendre des formes diverses, au travers du bon scolaire remis à chaque famille pour payer l’école de leur choix pour leurs enfants (comme en Suède par exemple) ou par un subventionnement objectif des écoles indépendantes (comme avec les Free schools ou les Académies en Angleterre, ou les Charter schools aux USA, ou encore comme aux Pays-Bas). Peu importe du moment qu’elle existe. Partout les résultats sont là aussi pour démontrer que, globalement, les enfants sont les bénéficiaires de la liberté scolaire. Simplement parce qu’elle répond à leur besoin naturel, parce que des écoles autonomes enseignent mieux l’autonomie, que des écoles libres forment mieux à la liberté.

Selon une étude de l’OCDE/PISA du 11 juin 2018, les pays où les populations désavantagées bénéficient d’enseignants de qualité sont globalement ceux où les écoles ont une plus grande autonomie d’embauche, voire de licenciement, des professeurs. L’autonomie des écoles, note cette étude, favorise tout à la fois l’adaptation des rémunérations en fonction de la performance, et peut-être plus encore des organisations plus flexibles et plus attentives aux besoins des élèves et aux préoccupations des enseignants: conditions de travail, formation permanente, évaluation régulière, participation au projet de l’école…

Certes, quand les écoles sont autonomes, voire indépendantes, l’État doit conserver un certain contrôle de la qualité et de la sécurité de ces établissements comme il doit veiller à empêcher toute dérive sectaire. Mais ainsi, l’égalité en droit de tous les parents est respectée dans le choix de l’éducation de leurs enfants en même temps que ceux-ci disposent d’une égalité de chances préférable à celle que leur offre aujourd’hui en France la sectorisation scolaire qui fait obligation aux enfants d’aller dans des collèges ou lycées affectés selon leur résidence.


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