28 avril 2020

« Et si nous faisions la classe dehors ? » Un vaste collectif propose que les cours puissent aussi se faire à l’extérieur des établissements.

Alors que la réouverture des établissements scolaires doit intervenir progressivement à partir du 11 mai, un collectif de plusieurs dizaines de chercheurs, enseignants, formateurs et acteurs associatifs propose, dans une tribune au « Monde », que les cours puissent aussi se faire à l’extérieur des établissements.

Publié le 27 avril 2020 dans le Journal Le Monde

La cour d’une école primaire, à Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), le 22 avril.
La cour d’une école primaire, à Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), le 22 avril. LUDOVIC MARIN / AFP

 

Tribune. Le 11 mai, les enfants auront vécu confinés deux mois. Deux mois à manquer d’air et d’espace pour la plupart d’entre eux, deux mois aussi à regarder les écrans plus que d’ordinaire. Ils étaient déjà trop sédentaires, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Les voilà maintenant quasi immobiles : en France, parcs, forêts et espaces verts en général ont été interdits d’accès pendant le confinement.

Il était pourtant possible de faire autrement. Ailleurs, comme en Autriche, tous ces espaces sont restés ouverts. Pour les enfants, principalement.

Pourquoi donc vouloir les remettre à l’intérieur des classes à partir du 11 mai, quand élèves et enseignants auront passé toutes ces journées enfermés ? Comment imaginer qu’ils pourraient se réjouir d’une telle perspective ? Parmi les quelque 16 millions d’enfants et leurs parents, et le million de professeurs, beaucoup ne semblent pas avoir envie de retourner dans des salles closes, autant nids à microbes que continuité du confinement.

Promiscuité ou lien avec la nature

Et si une autre solution existait ? Qui n’impliquerait pas la poursuite du confinement, mais l’usage de nouveaux espaces d’enseignement ? Les établissements scolaires ne disposent souvent pas d’espaces suffisants à l’intérieur pour permettre le respect des distances minimales recommandées. Les classes et les espaces de circulation sont trop exigus et entraînent des densités moyennes élevées et des situations de promiscuité.

En revanche, la plupart des communes disposent d’espaces extérieurs – jardins, parcs, stades, terrains de football, forêts, etc. Et si on s’en servait pour faire classe ?

Autrement dit, comme le recommandent déjà certains élus, pourquoi ne pas faire cours dehors ? Cela aiderait à protéger les enfants, les enseignants et les familles. A l’extérieur, le renouvellement de l’air permet de réduire le risque de contagion par aérosol. Cela permettrait aussi de renforcer le système immunitaire des enfants et des enseignants, ce qui est utile en période d’épidémie.

La démarche ne serait pas seulement sanitaire. De nombreux autres pays intègrent déjà, et dans certains cas depuis longtemps, l’importance du lien avec la nature et son rôle dans le développement de l’enfant dès sa naissance, mais aussi son intérêt pédagogique. Dans des pays, parfois en tête des classements internationaux comme PISA, les enfants profitent déjà largement des bienfaits des expériences régulières dans la nature.

Ainsi, les écoles en forêt où les jeunes enfants ont classe dans un espace naturel toute l’année existent depuis les années 1950 en Europe du Nord, et leur nombre explose quasiment partout dans le monde depuis une dizaine d’années. En 2010, l’Ecosse intègre l’apprentissage à l’extérieur au programme officiel, pour les enfants de 3 à 18 ans, et au Royaume-Uni, les enseignants sont encouragés à sortir avec leur classe, et formés pour faire évoluer leur posture et tirer profit de ces nouveaux espaces.

Ces jours-ci, au Danemark, les enfants retournent peu à peu à l’école. En plus des marquages au sol, des horaires aménagés et du lavage de mains toutes les deux heures pendant une minute, beaucoup d’élèves et d’enseignants découvrent les cours en dehors de la classe (en salle de gym, dans la cour, sur le parking de l’école, dans les parcs, etc.) « En temps normal, l’enseignement en dehors des murs est déjà pratiqué mais, en cette période de Covid-19, il est vivement conseillé », expliquait récemment dans la presse Rasmus Edelberg, le président de l’association danoise Ecole et parents.

« Le contact avec la nature nous fait du bien »

La reprise scolaire doit aussi permettre à nos enfants, qui vont arriver à l’école fatigués, énervés, stressés, de retrouver un accès à des espaces où ils puissent souffler, s’apaiser et s’émerveiller. Car le contact avec la nature nous fait du bien, c’est depuis des décennies un fait scientifiquement prouvé. Il est bon pour la santé physique et psychique, et favorise le développement cognitif, émotionnel et moteur des enfants.

D’autres études ont montré qu’enseigner dans la nature était aussi particulièrement efficace pour les apprentissages scolaires. De plus, les contraintes liées au bruit et à l’espace limité s’atténuent dans des espaces moins contraints et artificialisés, et avec elles le stress des enfants et des adultes, et les comportements agressifs.

Commencer à faire classe à ciel ouvert pourra contribuer aussi à l’épanouissement des enfants, en leur offrant l’espace, le calme et les possibilités de découverte et d’émerveillement dont ils ont besoin.

Comment mettre cela en place de façon aussi rapide ? Faire bouger l’éducation nationale en deux semaines ? En faisant comme pour les transports, alors que des grandes villes (comme Paris, Milan ou New York) se préparent à créer en quelques jours des kilomètres de voies cyclables temporaires et élargissent les trottoirs afin de permettre aux piétons et cyclistes de circuler de façon efficace en limitant au maximum les risques de contagion dans les transports en commun ?

Respecter les impératifs sanitaires

Bien sûr, ces pratiques à l’extérieur devront être effectuées en respectant les impératifs sanitaires et intégrer les gestes barrières. Il est possible de faire classe dehors, quel que soit l’âge des élèves. C’est possible dans les cours de récréation, qui peuvent être utilisées comme espace d’apprentissage à part entière, comme c’est le cas chez certains voisins comme le Royaume-Uni, mais aussi quelques écoles françaises.

Il est aussi possible de faire classe à proximité de l’école, que ce soit dans un jardin, un parc, une forêt, etc. Les stades et tout autre espace public extérieur pourraient également être utilisés. Est-ce faisable ? Tout à fait.

Des centaines d’enseignants dans le public en France pratiquent déjà la classe dehors régulièrement, certains depuis plusieurs années. Leur nombre, avant la crise causée par le Covid-19, était d’ailleurs en train d’augmenter très rapidement, partout dans l’Hexagone, notamment à Pompaire (Deux-Sèvres), Laval, Rennes, Caen, Lyon, Paris, Gennevilliers (Hauts-de-Seine), etc. Et pendant le confinement, de nombreux établissements rêvaient de pouvoir s’y mettre, et enseigner à l’air libre, au soleil. Cela n’est pas interdit, c’est possible en ville comme en milieu rural, et très peu coûteux. Pour la reprise scolaire, si nous faisions la classe dehors ? C’est devenu indispensable.

Les premiers signataires : Matthieu Chéreau, essayiste, coauteur de L’Enfant dans la nature (Fayard, 2019) ; Pascal Clerc, professeur des universités en géographie, CY Cergy Paris Université, laboratoire Ecole, mutations, apprentissages ; Collectif Tous dehors France ; Dominique Cottereau, enseignante chercheuse en sciences de l’éducation à l’université de Tours et coordinatrice du réseau d’éducation à l’environnement en Bretagne ; Julie Delalande, professeure des universités en sciences de l’éducation à l’université de Caen-Normandie, chercheuse au Cirnef ; Martine Duclos, professeure des universités et praticienne hospitalière, CHU Clermont-Ferrand et université Clermont-Auvergne, Onaps ; Louis Espinassous, écrivain et éducateur nature ; Moïna Fauchier-Delavigne, journaliste, coauteure de L’enfant dans la nature ; Crystèle Ferjou, conseillère pédagogique départementale ; Isabelle Filliozat, psychothérapeute et écrivaine ; Cynthia Fleury, professeure titulaire de la chaire humanités et santé au Conservatoire national des arts et métiers ; Nathalie Noel, inspectrice adjointe à la Direction académique des services de l’Education nationale pour le premier degré ; Anne-Caroline Prévot, directrice de recherches CNRS et chercheuse au Cesco, Muséum national d’histoire naturelle ; Bernard Stiegler, philosophe ; Sarah Wauquiez, formatrice d’enseignants et psychologue. Retrouvez la liste complète des signataires à cette adresse.


Ce texte est paru dans « Le Monde de l’éducation ». Si vous êtes abonné au Monde, vous pouvez vous inscrire afin de recevoir cette lettre hebdomadaire en suivant ce lien.

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